Culture

"We will not fade away": l’adieu au Donbass et à l’enfance filmé par Alisa Kovalenko

Ce documentaire de la réalisatrice ukrainienne, suit des adolescents entre 2019 et 2022, à la veille de l’invasion russe.

Feb 26, 2025

Benoît Vitkine

Le Monde

22 février 2023

5e film projeté dans le cadre du cycle "Filmer, c'est résister": "We will not fade away" par Alina Kovalenko (2023). La projection est organisée le jeudi 20 mars à 18h45 avec des sous-titres français. Auditoire AZ 1.101, bâtiment A, porte Z du campus du Solbosch de l'Université libre de Bruxelles.

A la Berlinale, l’adieu au Donbass et à l’enfance filmé par Alisa Kovalenko

« We Will Not Fade Away », documentaire de la réalisatrice ukrainienne, suit des adolescents entre 2019 et 2022, à la veille de l’invasion russe.

Par Benoît Vitkine (Moscou, correspondant)

« We Will Not Fade Away », documentaire d’Alisa Kovalenko.
« We Will Not Fade Away », documentaire d’Alisa Kovalenko.  BERLINALE

Souvenirs du monde d’hier. Deux adolescentes flânent paresseusement au milieu des ruines, enchaînant les selfies sur fond de métal tordu. Elles finissent par s’asseoir sur les marches d’un tribunal hors d’usage, éventré par les bombes : « On s’ennuie… Y a rien à faire ici. » Le cri d’une génération, l’hymne des ados du monde entier. Sauf qu’ici, on est « dans le trou du cul du monde, le trou du cul de l’Ukraine », s’amusent les deux filles. Elles s’interrogent sur leur avenir. Partir, évidemment. Kiev ? Londres ?

Ailleurs, Andriy rêve en dessinant des motos. Un jour, il construira la sienne, mais en attendant, il roule sur des antiquités soviétiques, en tongs et en short, dans la langueur d’un été ukrainien. Du haut des terrils, il écoute le bruit des mitrailleuses. Lui aussi songe à l’avenir. Il se verrait bien en nouvel Elon Musk, mais doute. « Quel ingénieur je fais ! », se lamente-t-il au retour d’une expédition de vol de câbles électriques.

Dans son documentaire We Will Not Fade Away, présenté mercredi 22 février à la Berlinale, Alisa Kovalenko filme l’adieu à l’enfance. Un an après l’invasion de l’Ukraine par la Russie, une dizaine de films ukrainiens sont programmés lors de la 73e édition du festival, ainsi que des rencontres avec les cinéastes qui continuent de tourner et de témoigner pendant la guerre.

Les personnages d’Alisa Kovalenko habitent Zolote-4 et Stanytsia Louhanksa, deux villages de la région de Louhansk, dans la partie sous contrôle ukrainien du Donbass. Ils vont en boîte, fument, s’embrassent, peignent, récitent des poèmes… Depuis 2014, ils vivent sur une ligne de front. « Je me rappelle cette année-là comme aucune autre, dit une jeune fille en pleurs à sa copine. C’est ça, un stress post-traumatique. »

C’est la guerre d’avant dont parle la jeune fille. La réalisatrice a filmé ces ados du Donbass entre 2019 et 2022, à la veille de l’invasion russe. Le bruit des bombes se fait de plus en plus présent, les convois militaires de plus en plus visibles. C’est une course de vitesse. Il faut vivre, vite, avant l’arrivée de la catastrophe. Les ados s’accrochent à un espoir fou : partir pour l’Himalaya, comme le leur a promis un aventurier et mécène de Kiev. Porter haut le drapeau ukrainien – plus haut que les terrils qui bouchent le paysage.

Nostalgie et douceur

Le documentaire est puissant, les images d’Alisa Kovalenko superbes de nostalgie et de douceur. Elles savent distinguer, derrière la lassitude des gueules noires et la misère des intérieurs, la sombre poésie du Donbass. Ce sont désormais les images d’un monde englouti, aussi fragile et éphémère que l’adolescence.

Qui d’autre qu’Alisa Kovalenko, déjà remarquée pour Alisa in Warland (2015) et Home Games (2018), pouvait écrire ce requiem pour un territoire détruit ? La jeune réalisatrice originaire de Zaporijia, une autre région industrielle, écume le Donbass depuis 2014. Elle y a été capturée par les séparatistes prorusses. Depuis l’invasion de février 2022, elle a pris les armes pour combattre dans l’armée de son pays.

Restent les rêves des ados de Zolote-4 et Stanytsia Louhanska, qui flottent quelque part au-dessus des cimes de l’Himalaya. Les deux villages ont été détruits et capturés, certains jeunes ne donnent plus signe de vie. On songe à Lisa, qui dessinait sur les impacts de balle comme pour faire revenir à la vie les murs affaissés ; à Andriy, qui voulait croire au pouvoir des étoiles filantes d’arrêter la guerre ; à Ruslan, qui rappait devant son ordinateur : « Nous ne disparaîtrons pas », « We will not fade away »

Benoît Vitkine (Moscou, correspondant)

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