Culture

A voir en streaming sur Arte: "L'invasion" de Sergei Loznitsa (2024)

Le film dépeint la vie de la population civile partout en Ukraine et présente une déclaration unique de la résilience ukrainienne

Feb 19, 2025

Par le cinéaste Sergei Loznitsa, une immersion sensible dans la guerre quotidienne en Ukraine à travers une série d’instantanés. De l’intérieur, la vie ordinaire contaminée par la violence et, face à elle, le corps collectif qui résiste.

Le 24 août 2022, six mois après l’invasion de l’Ukraine par la Russie, le cinéaste Sergei Loznitsa (Maidan, State Funeral) entreprend de documenter, jour après jour, l’ordinaire de son pays meurtri. Comment vit-on en temps de guerre ? Comment la violence, et la mort qui rôde, de près ou de loin, contaminent-elles un quotidien où la vie se fraie malgré tout son chemin (presque) comme avant ? "Les héros ne meurent pas, les ennemis, si ! Gloire à l’Ukraine !", scandent, genou à terre, les familles endeuillées de quatre soldats tués au combat, réunies dans un cortège funèbre. À Mykolaïv, d’autres cortèges trahissent la précarité et les rationnements, entre corvée d’eau et distribution de cabas. Devenue banale, la sirène des alertes aériennes surgit par effraction pour déchirer le paysage sonore. On meurt en Ukraine, on naît et on se marie aussi, lueurs fragiles – et d’autant plus intenses – dans le regard. Mis au rebut, les livres russes, de Pouchkine à Dostoïevski en passant par Lénine, sont détruits en masse, et Zweig et London, parfois, subissent le même sort. Une jeune volontaire appliquée s’entraîne au tir ; des téméraires s’immergent dans l’eau glacée pour un baptême avec l’espoir de jours meilleurs ; et dans une ronde de Noël sous la neige, un treillis dépasse d’un déguisement rose. En cette période de fêtes, y aura-t-il, comme l’an passé, un échange de prisonniers ? La guerre sourd et soudain fracasse : ruines fumantes d’un bombardement, explorées dans l’angoisse en quête de survivants.

Stigmates
"Regarde ici, tout est normal, les devantures, les gens travaillent…" Mais là, "on a l’impression d’être en 1942 !". Le pont familier traversé hier est détruit. Partout, la guerre imprime ses stigmates. En une mosaïque de séquences sans commentaire comme autant de chapitres, Sergei Loznitsa donne à voir, de l’intérieur, l’envers du décor du front, la violence qui s’immisce à bas bruit, la peur, le deuil, l’habitude aussi de faire avec. Pour ce film-somme, les opérateurs, sur les consignes du cinéaste, ont tourné des plans longs, au plus près des femmes, hommes et enfants qui subissent au quotidien le conflit dans leur chair. Des écoles dans les abris aux centres de rééducation des mutilés, les blessures et les silences, les gestes et les mots sont filmés à juste distance, avec une délicatesse sensible pour capter la dignité, la tristesse et les éclats de joie qui la percent. Le film révèle aussi la détermination du corps collectif à lutter et résister, soudé par la solidarité et la douleur partagée, pour refuser la défaite. Loin du manifeste de propagande, une immersion dans le réel qui fait ressentir, en profondeur et en nuances, la complexité du vécu de chacun(e) bouleversé par la guerre.

A voir en streaming sur Arte jusqu'au 14 mars 2025.

Souscrire à la newsletter du comité

Newsletter