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Pourquoi l’Ukraine rejette le plan de Donald Trump : « Cela ressemble vraiment à du racket»

Donald Trump a proposé de compenser à un tarif d’usurier l’aide américaine déjà versée à l'Ukraine depuis le début de l’invasion russe

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Feb 19, 2025

"Le Monde" , 19 février 2025

Pourquoi l’Ukraine rejette le plan de Donald Trump : « Cela ressemble vraiment à du racket »

Les Etats-Unis réclament 500 milliards de dollars de dédommagement pour l’aide de 175 milliards versée depuis 2022, payables en droits exclusifs et « à perpétuité » sur les ressources minérales et les infrastructures d’un pays ravagé par la guerre. 

Par Emmanuel Grynszpan

Loin d’envisager la moindre assistance future à Kiev, Donald Trump a proposé, début février, à son homologue ukrainien, Volodymyr Zelensky, de compenser à un tarif d’usurier l’aide américaine déjà versée depuis le début de l’invasion russe, en février 2022.

Dans un avant-contrat ressemblant à ce qu’un vainqueur exigerait d’un ennemi vaincu, les Etats-Unis demandent à l’Ukraine des droits exclusifs et « à perpétuité » sur « les ressources minérales, pétrolières et gazières, les ports, les autres infrastructures »,selon l’édition du lundi 17 février du quotidien britannique The Telegraph, qui a eu accès au document, marqué « confidentiel ». Une source du Monde, proche de l’administration présidentielle ukrainienne, confirme son authenticité et les paramètres y figurant.

L’avant-contrat précise qu’il est régi par la loi de l’Etat de New York, à l’exclusion de toute autre juridiction. Le projet propose la création d’un fonds d’investissement commun entre Washington et Kiev pour s’assurer que « les parties hostiles au conflit ne profitent pas de la reconstruction de l’Ukraine ». Il stipule que les Etats-Unis percevront, avec une clause de priorité, la moitié des revenus perçus par Kiev au titre de l’extraction des ressources, ainsi que 50 % de la valeur financière de « toutes les nouvelles licences délivrées à des tiers » pour la future monétisation de ces ressources.

Donald Trump a publiquement fixé à 500 milliards de dollars(478 milliards d’euros) le total de la valeur réclamée à Kiev. Soit l’équivalent de deux ans et demi du produit intérieur brut (PIB) d’un pays quotidiennement bombardé et dont un cinquième du territoire est occupé.

Garanties de sécurité

On ignore pourquoi la somme atteint ce niveau stratosphérique, car le président américain a estimé sur la chaîne conservatrice Fox News à300 milliards de dollars les dépenses des Etats-Unis en faveur de Kiev, ajoutant qu’il serait « stupide » de dépenser davantage. Affichant le peu de cas qu’il fait de l’Ukraine, il a déclaré que celle-ci « pourrait devenir russe, ou pas, mais [qu’il] veu[t] revoir cet argent ». En réalité, le total des cinq paquets d’aide validés parle Congrès en faveur de l’Ukraine s’établit à 175 milliards de dollars, dont 70 milliards ont été versés à des compagnies d’armement américaines.

 

D’après les médias ukrainiens, Volodymyr Zelensky a rejeté un accord sur la base de cet avant-contrat, le 12 février, jour de la visite à Kiev du secrétaire américain au Trésor, Scott Bessent. Selon le Washington Post, le président ukrainien n’a eu que quelques minutes pour lire la proposition de Washington avant sa rencontre avec M. Bessent.

Volodymyr Zelensky conditionne tout accord sur l’exploitation du sous-sol ukrainien, passé avec les Etats-Unis ou avec des pays de l’Union européenne, à des garanties de sécurité pour son pays. Les Etats-Unis ont pris ombrage du refus supposé de Kiev. Le 16 février, Brian Hughes, porte-parole duConseil à la sécurité nationale de la Maison Blanche, a qualifié de « court-termiste » le refus de l’Ukraine de signer cet accord avec les Etats-Unis. « Il n’est pas surprenant que M. Zelensky ait apparemment rejeté cet accord, remarque l’ancien diplomate ukrainien Alexander Khara, aujourd’hui président du groupe de réflexion International Centre for Defence Strategies. Je ne peux pas me prononcer sur le contenu [de l’avant-contrat], mais il est clairement dans le style de Trump. Nous vivons dans un nouvel âge des empires. »

« S’il s’agit de 50 % des licences minières actuelles, cela ressemble vraiment à du racket, s’inquiète Lana Zerkal, ancienne vice-ministre des affaires étrangères de l’Ukraine pour l’intégration européenne (2014-2019), qui n’a pas eu accès au document. Si cette proposition concerne des ressources qui n’ont pas encore été explorées, cela signifie qu’avant de commencer la production un travail très précieux doit être fait pour étudier les gisements afin de déterminer, entre autres, s’il est économiquement possible de les extraire.Cela peut prendre entre cinq et vingt ans, sans garantie de résultat positif. »

L’initiative consistant à offrir sur un plateau les ressources minérales ukrainiennes aux Etats-Unis revient à Volodymyr Zelensky. Son idée, dévoilée en septembre 2024, était qu’en attirant des compagnies américaines vers des implantations à long terme sur le territoire, assorties de lourds investissements et de juteux profits, Washington étendrait automatiquement son parapluie militaire. Et ainsi dissuaderait Moscou d’envahir à nouveau le pays.

Kiev travaille d’arrache-pied sur une contre-proposition

Mais le dirigeant ukrainien ne s’attendait sans doute pas à des conditions si humiliantes qu’elles paraissent destinées à frapper un adversaire à terre et non pas un allié, ce qu’était Washington jusqu’à l’entrée en fonctions de Donald Trump, le 20 janvier. Par comparaison, les termes des négociations directes qui ont repris, le 18 février, entre Moscou et Washington n’incluent pas de demandes de réparations et elles envisagent même la levée de sanctions contre la Russie. Selon nos sources, l’administration présidentielle ukrainienne travaille d’arrache-pied à une contre-proposition intéressante pour l’administration Trump.

L’approche du président américain a provoqué de vives réactions enEurope. Lors de la Conférence de Munich sur la sécurité, qui s’est tenue du 14 au 16 février, des responsables l’ont comparée aux « tactiques de chantage de la Mafia », à l’« usure » et au « colonialisme ». L’euro-député allemand Sergey Lagodinsky y a en outre décelé une « réalisation complète des souhaits de Poutine ».

Depuis la révolution de Maïdan, en 2013, et la fuite du président pro-russe Viktor Ianoukovitch, le Kremlin présente le gouvernement ukrainien comme une marionnette de Washington et décrit le pays comme vassalisé par les Etats-Unis. Moscou, qui a de facto vassalisé les régions ukrainiennes conquises par la force depuis 2014, a l’habitude d’accuser ses adversaires d’avoir les mêmes desseins.

Emmanuel Grynszpan

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