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En Ukraine, le lourd impact de la guerre sur l’école

Impact de la guerre sur l’école: dans les zones proches de la ligne de front, les cours se font à distance ou dans le métro, comme à Kharkiv

Nov 24, 2023

Reportage de Thomas d’Istria, envoyé spécial à Kharkiv et à Boutcha; Sources: "Le Monde" , 24 novembre 2023

Tout a été fait pour que les classes rouvrent le plus vite possible. Mais il a fallu attendre vingt mois après le retrait des forces russes de la ville martyre de Boutcha, dans la banlieue ouest de Kiev, pour que tous les élèves reviennent. L’école numéro 3 a fait peau neuve : le toit fracassé et les fenêtres explosées ont été réparés, les graffitis rageurs des soldats russes recouverts. Ce lundi 20 novembre, les classes sont pleines. Plus de 1 500 écoliers, âgés de 6 à 16 ans, parmi lesquels 120 jeunes déplacés ayant quitté des régions proches de la ligne de front, ont fait leur rentrée en septembre, selon la vice-directrice, Natalya Khartchenko.

L’école de Boutcha fait partie des 50 établissements que l’ONG Human Rights Watch a visités dans le cadre d’une enquête sur les destructions causées par l’invasion. Publié le 9 novembre, ce rapport, intitulé « Des chars dans la cour de récréation : attaques contre des écoles et utilisation militaire des écoles en Ukraine », documente les destructions causées par des attaques aériennes russes et des tirs d’artillerie dans les premiers mois de l’invasion sur des écoles de quatre régions du pays.

Human Rights Watch a aussi visité des établissements scolaires occupés par les forces du Kremlin, utilisés comme des casernes, des hôpitaux, des centres de torture, et des prisons pour les civils. Dans une moindre mesure, des soldats ukrainiens ont également pris position dans des écoles.

« Les attaques ont eu un impact dévastateur sur l’accès des enfants ukrainiens à l’éducation pendant la guerre, et probablement longtemps après, car la réparation et la reconstruction des écoles, en particulier au milieu d’autres infrastructures civiles détruites, nécessiteront des ressources importantes et beaucoup de temps », s’inquiètent les auteurs du rapport. Selon le ministère ukrainien de l’éducation et des sciences, plus de 3 428 institutions, comprenant aussi des universités et des orphelinats, ont été endommagées et 365 « complètement détruites ».

Les autorités sont engagées dans une course contre la montre afin de remettre à niveau des élèves déscolarisés, tout en veillant à leur sécurité. Chaque école doit disposer d’un abri antibombardement. Ainsi, si l’école numéro 3 de Boutcha a pu rouvrir ses portes, c’est parce qu’elle possède le sien, capable d’accueillir tous les écoliers.

Selon Zoya Lytvyn, directrice de l’ONG Osvitoria, spécialisée dans le domaine de l’éducation, près de 42 % des élèves ukrainiens se rendraient aujourd’hui quotidiennement dans des salles de classe. « Il s’agit d’écoles qui sont suffisamment éloignées de la ligne de front pour permettre aux enfants d’avoir deux minutes avant de rejoindre les abris en cas d’alerte aérienne », détaille-t-elle. Pour d’autres, l’école continue de fonctionner en ligne, parfois de manière hybride, en classe le matin, en visioconférence l’après-midi.

Ecoles silencieuses

Si la situation dans les salles de classe du centre et de l’ouest du pays semble proche d’un retour à la « normale », dans l’est et dans le sud, dans les zones proches de la ligne de front, ou de la frontière russe, les cours en présentiel restent encore un mirage. Dans la région de Kharkiv, frontalière de la Russie, ils se déroulent « exclusivement à distance », explique Olga Bezpalova, directrice du département régional des sciences et de l’éducation, en raison du risque de bombardements « très élevé ».

Pour rouvrir les salles de classe, l’une des conditions préalables est de disposer d’abris répondant à de nouvelles normes de construction promulguées le 1er octobre. Or, « pour l’instant, la région ne dispose pas de tels abris », se désole Olga Bezpalova. Du fait de la distance avec la frontière russe, située à une trentaine de kilomètres, les enfants ne disposent que d’une minute pour rejoindre un abri. Or, il arrive souvent que la sirène ne se déclenche qu’après une première explosion, reconnaît la directrice.

Dans la ville de Kharkiv, deuxième du pays par sa taille, massivement bombardée depuis le début de l’invasion, les écoles restent ainsi vides et silencieuses. Six d’entre elles endommagées ont été restaurées, mais les autorités locales travaillent principalement à améliorer les abris déjà existants. Deux autres pouvant accueillir des centaines d’enfants sont en cours de construction.

Encore aujourd’hui, les rares jeunes à pouvoir suivre des cours en classe étudient dans le métro de la ville, à l’intérieur de plusieurs stations aménagées avec des bancs et des tables, là même où des civils s’étaient réfugiés pendant les premiers mois de la guerre. Pour d’autres, l’enseignement se fait toujours à distance.

C’est le cas, par exemple, de Timofiy, le fils d’Oleksandra Silkina, qui travaille dans une épicerie de la ville et emmène son fils chaque jour avec elle. Ce vendredi 17 novembre, le garçon, âgé de 8 ans, se cache derrière un ordinateur, dans une petite remise. Oleksandra Silkina aurait préféré que son fils fréquente d’autres enfants, mais lorsqu’elle a reçu la proposition de rejoindre l’école dans le métro, Timofiy a refusé, car il voulait rester connecté avec ses copains, dans la salle de classe virtuelle. « Je préfère l’avoir avec moi », reconnaît sa mère, inquiète du risque de bombardement permanent.

Plus loin, dans un couloir de ce bâtiment profond, un autre petit garçon, Roman, 7 ans, étudie lui aussi sous l’œil de sa mère, Ioulia Karpenko, employée dans la cuisine de cette même épicerie. Un lit de camp trône à côté du bureau. « Nous sommes restés ici la première année de guerre », explique Ioulia Karpenko, confiant que son état psychologique était à l’époque « un peu compliqué ». Pour que son garçon puisse se sociabiliser avec d’autres enfants de son école, située juste de l’autre côté de la rue, elle organise des goûters avec les autres élèves. « De véritables festins », sourit-elle.

En attendant que ces enfants puissent à nouveau se rendre dans des écoles équipées d’abris antibombardement, plusieurs organisations ukrainiennes à travers le pays tentent de les rassembler dans des petits centres équipés d’ordinateurs, installés dans des abris. L’organisation « Who, but we ! », soutenue par l’Unicef et d’autres fonds internationaux, a déjà créé trois centres de ce type et prévoit d’en construire six autres, à proximité immédiate d’écoles de la région de Kharkiv. Ces centres visent à rassembler les enfants mais aussi à permettre à des déplacés internes de profiter d’ordinateurs pour suivre les cours. Une aide psychologique est fournie. Le ministère de l’éducation et des sciences recense 154 centres de ce type à travers le territoire ukrainien.

Dans le village de Derhatchi, non loin de Kharkiv, dans un souterrain, une petite salle de classe avec du matériel informatique et une salle de jeux accueillent des enfants. Entourés de psychologues, ils participent à une séance de thérapie artistique en créant des figures en pâte à modeler. Les parents attendent dehors pour les récupérer. « L’éducation est la clé pour notre avenir, assure Svytlana Zhydetska, vice-présidente de “Who, but we !” Nous devons nous adapter à tout et être capables d’offrir une éducation aux jeunes, quoi qu’il en coûte. »

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