Une victoire pour la solidarité avec l’Ukraine : enfin des sanctions européennes contre le gaz naturel liquéfié (GNL) russe.

Photo: la ministre fédérale de l’énergie Tinne van der Straeten s’adresse aux manifestants qui demandent l’arrêt des importations et du transbordement du GNL russe en Belgique (Bruxelles, 12 mai 2024, photo du RESU-Belgique).

Sources: Vredesactie, RESU-Belgique, Agence Belga, Razom We Stand.

3 juillet 2024

C’est désormais officiel. L’Union européenne (UE) a approuvé le 24 juin le 14e paquet de sanctions contre la Russie, ciblant pour la première fois le gaz naturel liquéfié (GNL) russe. La présidence belge de l’UE a joué un rôle important et est parvenue à surmonter les obstacles soulevés par l’Allemagne et la Hongrie. Il s’agit d’une victoire dans un contexte particulièrement difficile en raison de la montée de l’extrême-droite dans un grand nombre de pays de l’UE lors des récentes élections européennes. Cette victoire n’est pas complète cependant. Il faut continuer à exiger un arrêt total du transport et des importations de GNL russe même quand celui-ci est destiné au marché européen.

Les 27 États membres de l’UE ont formellement validé le lundi 24 juin le 14ᵉ paquet de sanctions envers la Russie. Les bases de l’accord sont connues depuis le 20 juin. Principale nouveauté de cette salve de sanctions : on touche au gaz naturel liquéfié (GNL) provenant de Russie. Ce produit constitue une ressource importante pour l’Etat russe, lui permettant de financer la guerre en Ukraine en dépit des sanctions internationales. En ce qui concerne la Belgique, le GNL russe constitue une part importante des chargements des méthaniers qui transitent par Zeebrugge, où la moitié du gaz naturel arrivant par navire provient de Russie.

L’interdiction ne touche pas actuellement aux importations européennes, elle vise le gaz liquéfié qui vient de Russie et est destiné à des pays tiers. Au niveau des importations européennes, une mesure d’interdiction se limite à certains terminaux gaziers sur le sol de l’UE qui ne sont pas connectés au réseau de gazoducs européens. D’après une première estimation de l’ONG ukrainienne « Razom We Stand », la Russie perdrait environ un quart des ressources qu’elle tire actuellement de la vente du GNL.

En outre, il sera interdit de faire de nouveaux investissements depuis l’UE ou de fournir des biens, services et technologies pour des projets russes d’exploitation de GNL qui sont en cours de réalisation, comme Arctic LNG 2 et Murmansk LNG. C’est un élément important parce que la Russie avait privilégié l’association entre ses entreprises du secteur de l’énergie avec d’autres géants capitalistes comme Total ou Shell pour la mise en place des infrastructures coûteuses indispensables à la production et au transport du GNL.

Les nouvelles sanctions prévoient une interdiction d’utiliser les ports européens pour le transbordement ou le rechargement de GNL russe en vue de l’exporter vers des pays tiers, que ce soit par mer ou par voie terrestre. Une période de transition de neuf mois est prévue.  Le transit sera interdit à partir de mars 2025.

Cette interdiction concerne principalement trois pays qui effectuent l’essentiel du transbordement de GNL russe dans des installations spécialisées. Il s’agit de la Belgique, de la France et de l’Espagne.

Contexte : la Russie et le GNL

La Russie s’est lancée sur le marché du Gaz Naturel Liquéfié à partir de 2009. Elle a créé les installations indispensables pour la liquéfaction du gaz qui permet de le transporter avec des méthaniers spécialement adaptés. Ces installations se trouvent dans trois complexes industriels : Sakhalin-2  en mer d’Okotsk au large de l’île Sakahline, Yamal  dans le cercle polaire arctique sur le territoire de la péninsule de Yamal qui fait partie du district autonome de de Yamalo-Nénéstie et Portovaya-Vyssotsk  à environ 150 km au Nord-Ouest de Saint-Pétersbourg. Les méthaniers transportant le GNL se dirigent vers des ports asiatiques pour Sakhalin-2 (60% du transport vers le Japon) et principalement vers des ports européens pour les deux autres complexes. L’objectif de la Russie est d’atteindre 5% du commerce mondial de GNL à l’horizon de 2030. Cette activité finance de manière importante le budget de l’Etat russe et constitue dès lors une source de financement pour l’agression contre l’Ukraine.

Une campagne européenne où la Belgique joue un rôle important

La campagne pour mettre fin à l’exportation et au transit de GNL russe a été lancée à l’échelle européenne par une ONG environnementaliste ukrainienne « Razom we stand». Elle a été relayée par de nombreuses organisations écologistes. En Belgique, elle a été animée principalement par Vredesactie, une organisation pacifiste flamande en désaccord avec les ambiguïtés du reste du mouvement pacifiste par rapport au droit à la résistance du peuple ukrainien. Contrairement à « Vrede ». Le comité belge du RESU et l’organisation ukrainienne « Promote Ukraine » se sont également associés à cette campagne. Notre campagne a pour principales cibles le gouvernement fédéral, Flexys ainsi que les communes belges qui détiennent la majorité des actions de Fluxys.

Lors de la manifestation que nous avions organisé à Bruxelles le 12 mai dernier, la ministre fédérale de l’énergie Tinne van der Straeten (du parti écologiste flamand Groen) nous avait apporté son soutien. Elle a mené une lutte résolue au sein du gouvernement fédéral pour que Zeebruges cesse d’être une plaque tournante pour le GNL russe. En mai, elle déclarait : “Si la force majeure est invoquée pour mettre un terme au contrat, les slots d’approvisionnement de Zeebruges pourraient être libérés pour importer du GNL des États-Unis”. Elle avait précisé que le gouvernement d’Alexander De Croo était d’accord pour aller dans cette direction, avec parallèlement une augmentation de l’aide humanitaire et l’envoi de F-16 à l’Ukraine. “Sinon l’aide ne sert à rien.”

Elle a tenu ses engagements et, malgré la situation politique complexe et difficile, elle est parvenue à ce que la présidence belge de l’Union européenne maintienne le cap pour introduire le GNL dans le nouveau paquet de sanctions.

En Belgique même, la NVA, un des vainqueurs des élections législatives de juin, était opposé à cet aspect des sanctions et les autres partis de la droite et du centre-droit qui forment le gouvernement régional flamand faisaient pression pour maintenir le GNL hors du champ des sanctions.

Quel impact pour la Belgique ?

Zeebruges est un important hub pour le GNL russe, avec 53% du GNL arrivé par navire au cours des six derniers mois provenant de Russie. Une part considérable de ce gaz (36%) repart immédiatement par navire ou camion vers d’autres destinations.

Le gestionnaire du réseau de gaz Fluxys, exploitant du terminal GNL de Zeebruges, a un contrat à long terme avec la société russe Yamal conclu en 2015, évalué à un milliard d’euros et qui a nécessité la construction d’un cinquième réservoir de stockage. Fluxys et ses défenseurs dans le monde politique belge, invoquaient le fait qu’il s’agit de contrats à long terme dont la résiliation pourrait impliquer des indemnités financières importantes. Fluxys est une entreprise privée dont environ 77% des actions sont détenues par des communes belges à travers Publigaz. Le 30 novembre 2023, l’Agence nationale ukrainienne de prévention du crime de corruption avait placé Fluxys dans la liste des entreprises sponsors de l’agression russe contre l’Ukraine.

Les autres aspects du 14e paquet de sanctions

La liste des personnes et entités visées par des sanctions individuelles est élargie, avec 69 individus et 47 entités supplémentaires. 

Interdiction d’investissements

Pour la première fois, l’Union vise également dans ses sanctions 27 navires spécifiques, considérés comme “contribuant à la guerre menée par la Russie contre l’Ukraine”. Ils servent à transporter des armes, à transborder du gaz liquéfié russe, ou encore à véhiculer des récoltes céréalières volées en Ukraine, soutient l’UE. Les ports européens ne pourront plus les accueillir, et les services à ces navires sont également prohibés. La liste sera régulièrement mise à jour.

Contre le contournement des sanctions

La liste des personnes et entités visées par des sanctions individuelles est élargie, avec 69 individus et 47 entités supplémentaires. Ces sanctions sont désormais bien connues: interdiction d’entrée dans l’UE, gel des avoirs sur sol européen, interdiction de bénéficier de financement depuis l’UE.

Le bouclage de ce nouveau paquet a été compliqué par l’opposition maintenue tout un temps par l’Allemagne, inquiète que des entreprises européennes puissent être tenues responsables du contournement des sanctions par leurs filiales. L’accord final a porté sur trois points.  Les entreprises européennes doivent fournir tout mettre en œuvre pour s’assurer que leurs filiales étrangères ne participent pas à des activités qui vont à l’encontre des sanctions. Les opérateurs de l’UE qui vendent vers des pays tiers des matériaux susceptibles d’être utilisés comme des composantes de système d’armement servant sur le champ de bataille devront mettre en œuvre des mécanismes de diligence raisonnable capables de détecter et d’évaluer les risques de réexportation vers la Russie et d’atténuer ces risques. Les opérateurs de l’UE qui transfèrent un savoir-faire industriel pour la production de biens servant sur le champ de bataille à des interlocuteurs commerciaux de pays tiers devront désormais inclure des dispositions contractuelles visant à garantir que ce savoir-faire ne soit pas utilisé pour des biens destinés à la Russie. Ce sont des formulations moins impératives que dans le projet initial mais elles indiquent la volonté de mieux contrôler les opérateurs économiques de l’UE contribuent aux  mécanismes de contournement mis en place par la Russie.

Les sanctions financières sont également renforcées, avec une interdiction pour les entités européennes (banques) hors de Russie d’utiliser le système de messagerie financière SPFS, créé par Moscou pour neutraliser les précédentes mesures dans ce domaine et offrir un “remplacement” à SWIFT. Il est aussi interdit de faire des transactions avec des banques et des fournisseurs de crypto-actifs qui soutiennent la défense russe.

Un recul sur les diamants

La décision “allège” les sanctions précédentes sur les diamants russes. Il est précisé que l’interdiction d’importation ne concerne pas les diamants qui se trouvaient déjà hors de Russie au moment de son entrée en vigueur. Des bijoux pourront aussi temporairement être importés/exportés, par exemple pour des foires.

La traçabilité obligatoire n’entrera pas en vigueur en septembre, mais en mars prochain. La période de transition se voit prolongée de six mois. 

Le G7 avait décidé d’introduire un contrôle systématique des diamants, qui devait, à partir de septembre, se baser sur un nouveau “système de vérification et de certification” et faire passer tous les flux commerciaux de ces pierres par Anvers. Mais ce système est remis en cause par des pays africains producteurs, ainsi que les États-Unis et des représentants du monde diamantaire anversois.

Des entreprises chinoises sanctionnées par l’UE

Dix-neuf entreprises chinoises, dont un géant mondial de l’industrie satellitaire, ont été ajoutées lundi par les Vingt-Sept à une liste de sociétés avec lesquelles les entreprises de l’UE ne peuvent plus commercer, dans le cadre de sanctions adoptées suite à l’invasion russe de l’Ukraine.

Ces sociétés basées en Chine, dont plusieurs à Hong Kong, figurent dans la liste publiée au Journal officiel de l’UE. Les Occidentaux accusent constamment Pékin de soutenir l’effort de guerre russe, ce que la Chine dément.

Parmi les entreprises nouvellement ajoutées figurent deux acteurs majeurs de l’industrie satellitaire chinoise impliqués dans la vente au groupe de mercenaires russe Wagner de satellites et de fourniture d’images satellites: Chang Guang Satellite Technology (CGST), l’un des plus gros acteurs mondiaux du spatial, et le courtier en images satellitaires Head Aerospace Technology.

Ces entreprises sont soumises à de drastiques restrictions commerciales concernant “les biens et technologies à double usage (civil comme militaire) ou susceptibles de contribuer au développement technologique du secteur russe de la défense”. Au total, 675 sociétés figurent désormais sur cette liste.

 

 

Communiqué de la coalition mondiale B4Ukraine du 20 juin 2024:

NOUVELLES SANCTIONS DE L’UE : ENFIN LES PREMIÈRES MESURES CONTRE LES EXPORTATIONS DE GAZ RUSSE, MAIS UN EMBARGO TOTAL SUR LE GAZ DOIT ÊTRE L’OBJECTIF IMMÉDIAT

La coalition mondiale B4Ukraine se félicite que les exportations de gaz russe soient également visées, pour la première fois depuis l’invasion totale, par le 14e paquet de sanctions de l’UE, adopté aujourd’hui. Toutefois, seuls le financement de nouvelles infrastructures de GNL et la réexportation de gaz liquéfié russe (interdiction de transbordement) ont été interdits. Cette dernière mesure vise à empêcher l’UE de continuer à servir de complice aux exportations de gaz russe vers l’Asie. Toutefois, l’UE ne doit pas s’arrêter à mi-chemin, car les mesures susmentionnées réduisent à peine les recettes actuelles. En mai 2024, la Russie a dépassé les Etats-Unis en tant que fournisseur de gaz à l’Europe. B4Ukraine demande au gouvernement allemand en particulier de préconiser un embargo complet sur le GNL. Après tout, alors que l’importation de charbon et de pétrole brut (par voie maritime) a déjà été interdite en 2022, le commerce du GNL russe est plus florissant que jamais.
Petras Katinas, analyste énergétique à l’institut de recherche finlandais CREA (Centre for Research on Energy and Clean Air), explique : “Selon nos calculs, l’Union européenne a payé plus de 85 milliards d’euros pour le gaz russe depuis le 22 février 2022. Le Kremlin utilise cet argent pour financer sa guerre contre l’Ukraine. La Russie est extrêmement dépendante de l’accès aux eaux et aux ports de l’UE, en particulier pour les exportations de GNL depuis l’Arctique russe. Bien que l’interdiction de transbordement rende les exportations de gaz russe plus difficiles, seule une interdiction totale des importations mettrait réellement sous pression le commerce du gaz russe en provenance de l’Arctique. Sans les ports de l’UE situés à proximité, le transport de gaz sur des méthaniers brise-glace spéciaux serait difficilement viable sur le plan économique.
Svitlana Romanko, directrice de Razom We Stand, a ajouté : “Ma patrie est exposée quotidiennement aux attaques russes. Plus de 50 % des infrastructures énergétiques ont été détruites ou gravement endommagées. L’insécurité de l’approvisionnement en énergie constituera une menace existentielle pour des millions d’Ukrainiens, en particulier l’hiver prochain. La Russie finance sa guerre principalement avec les revenus du pétrole et du gaz. C’est pourquoi, avec plus de 280 organisations, nous avons demandé au gouvernement allemand, en février 2024, de cesser d’acheter des combustibles fossiles à la Russie. L’interdiction des transbordements de GNL intervient très tard, au 850e jour de la guerre d’agression russe. J’appelle l’Allemagne et tous les gouvernements européens à faire pression en faveur d’une interdiction totale des importations de GNL d’ici la fin de l’année au plus tard. Cette décision devrait être suivie par d’autres pays de l’UE”.
Dans les jours qui ont précédé l’accord, l’Allemagne en particulier avait bloqué l’adoption du 14e paquet de sanctions. Sebastian Rötters, chargé de campagne sur l’énergie à Urgewald, a commenté : “Au lieu de prendre l’initiative, le gouvernement allemand a joué le rôle frein. Il est donc d’autant plus important que l’Allemagne prenne clairement l’avantage aujourd’hui. Poutine a délibérément utilisé la dépendance de l’Allemagne à l’égard du gaz russe comme une arme dans cette guerre. Cependant, la Russie dépend de l’UE pour les exportations de GNL en provenance de l’Arctique. Ce levier doit être utilisé. Tout d’abord, l’interdiction de transbordement doit être mise en œuvre immédiatement. Pendant les longues phases transitoires des sanctions sur le pétrole et le charbon, la Russie a pu encaisser 45 milliards d’euros supplémentaires. L’UE doit tirer les leçons de ces erreurs. Une interdiction totale des importations de GNL russe dans un avenir proche marquerait un tournant.
La commission sénatoriale française a conseillé d’interdire les importations de GNL russe dès que possible. Chaque Etat membre de l’UE doit annoncer cette position sans délai. Empêcher la poursuite tragique de la guerre en Ukraine et stopper les flux financiers de l’Europe vers la Russie provenant des combustibles fossiles. L’Europe s’est engagée à atteindre la neutralité climatique d’ici 2050. C’est la solution pour empêcher le financement de régimes dictatoriaux avec l’argent européen et pour prévenir d’autres guerres et conflits.

Source (en anglais): Razom We Stand.

 

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