Une assemblée d'actionnaires bousculée par la contestation: « Fluxys sponsorise l’effort de guerre russe »

Source: Bond Beter Leefmilieu , 15 mai 2024.

Le visuel est un montage de Vredesactie à partir du’une photo des installations du port de Zeebrugge spécialement construites pour le transbordement de GNL russe.

Le 14 mai, lors de l’assemblée générale de Fluxys Belgium, des actionnaires critiques ont posé leurs questions au conseil d’administration de l’entreprise. Les organisations belges Vredesactie, Bond Beter Leefmilieu et Greenpeace n’étaient pas les seules à prendre la parole. Des représentants ukrainiens de Razom We Stand, basée à Kiev, et de Promote Ukraine, basée à Bruxelles, ont également pris la parole. À l’extérieur, des militants de Vredesactie et d’Extinction Rebellion ont pris la parole. Ils ont dénoncé le manque total d’attention de l’entreprise à l’égard des violations à grande échelle des droits de l’homme dans sa chaîne de valeur. Ils ont également demandé au président de cesser d’abuser de sa double fonction pour saper les sanctions européennes sur le transbordement de gaz naturel liquéfié russe.

Fluxys sponsorise le trésor de guerre russe

Peu après l’annexion de la Crimée par la Russie en 2014, Fluxys a signé un contrat de 20 ans avec la société gazière russe Yamal LNG. Ce faisant, l’entreprise a scellé une coopération structurelle avec un régime belliqueux. Les partenaires commerciaux directs de Fluxys jouent également un rôle actif dans l’offensive russe, selon le rapport alternatif publié par Vredesactie. Cela affaiblit terriblement le peuple ukrainien, déclare Svitlana Romanko, fondatrice et directrice de l’association Razom We Stand :”Le Kremlin profite énormément de l’accès exclusif au plus grand réservoir de stockage de Fluxys à Zeebrugge, qui a été spécialement construit pour la Russie. Rien qu’en 2023, les revenus russes issus de la coopération avec Fluxys dépasseraient 1 milliard d’euros, soit le double du montant de l’aide belge à l’Ukraine au cours des deux dernières années. La complicité de Fluxys va au-delà des affaires et contribue directement au trésor de guerre de Poutine et à la mort d’innombrables innocents en Ukraine”.

Le rapport annuel de 285 pages de Fluxys mentionne l’analyse de durabilité qu’elle a menée en 2023, qui incluait l’examen de la chaîne de valeur pour les violations des droits de l’homme. Cependant, l’impact humanitaire en Ukraine n’y apparaît pas, pas plus que les violations dans les autres pays d’où la Belgique importe du gaz, comme Greenpeace Belgique l’a soulevé plus tôt cette année. “Les violations des droits de l’homme dans la chaîne de valeur de Fluxys sont monnaie courante. Quelle est la crédibilité du rapport de durabilité de Fluxys si même les violations les plus flagrantes sont balayées sous le tapis ? Sans un cadre sérieux en matière de droits de l’homme, Fluxys est condamnée à continuer à soutenir la violence et l’oppression, par exemple en Égypte ou à Oman, où le groupe se lance maintenant dans la production d’hydrogène”, a déclaré Mathieu Soete, directeur de campagne pour la transition énergétique chez Greenpeace.

Volonté politique en Europe et au niveau fédéral, mais pas en Flandre

Au niveau fédéral, il y a enfin unanimité : la relation problématique entre Fluxys et l’industrie gazière russe doit cesser. Le ministre de l’énergie (GROEN), Tinne Van der Straeten, a été mandatée pour plaider au niveau européen en faveur de sanctions sur le transbordement de gaz russe, ce que la Commission européenne a repris la semaine dernière dans sa proposition de 14e paquet de sanctions économiques contre la Russie. Il appartient maintenant aux États membres d’approuver cette proposition à l’unanimité.

Mais sans le soutien des régions, la Belgique devra s’abstenir au niveau européen. Et c’est là que le bât blesse : lors de la commission parlementaire flamande de politique étrangère, tous les partis du gouvernement régional flamand ont voté contre une résolution soutenant l’interdiction du gaz russe dans les ports européens. Ceci alors que le CD&V et l’Open VLD ont soutenu cette interdiction au niveau fédéral. Cependant, c’est la N-VA qui a remporté la palme en recourant à des sophismes pour éviter de soutenir la résolution.

Les sophismes de la N-VA et la double casquette d’Andries Gryffroy

Ainsi, selon Karl Vanlouwe (N-VA), une interdiction européenne du transbordement du GNL russe “entraînerait une augmentation significative des prix et aurait un impact énorme sur le pouvoir d’achat”. Toutefois, l’initiative du gouvernement fédéral ne porte que sur le transbordement du GNL et non sur les importations. “Au cours des deux dernières années, plus de 90 % des volumes transbordés ont été expédiés vers des marchés non européens. La partie qui reste dans l’UE représente moins de 0,3 % de la demande totale de gaz en Europe et est donc négligeable. À titre de comparaison, un hiver froid peut augmenter la demande européenne de gaz de plus de 5 %”, a déclaré Angelos Koutsis, expert en énergie chez Bond Beter Leefmilieu.

Il n’y a pas non plus lieu de craindre un impact sur le marché mondial du GNL. Selon les rapports de l’IEEFA (think tank américain) et de l’ACER (Agence de coopération des régulateurs de l’énergie), le marché sera inondé de GNL dès la fin de cette année, alors que la demande européenne de gaz est en baisse depuis plusieurs années et qu’elle continuera à baisser en raison de la transition énergétique. “Une connaissance élémentaire de l’économie nous apprend que les prix du gaz n’augmentent pas dans un marché où la demande est en baisse et l’offre en hausse”, a déclaré M. Koutsis.

Ceux qui risquent d’être perdants en cas d’interdiction de transbordement du GNL russe sont Fluxys. Il y a donc lieu de s’interroger sur la position ferme de la N-VA, le parti où Andries Gryffroy, président de Fluxys, est actif en tant que député flamand et expert en énergie, dans ce dossier. “La représentation politique est liée au fait que les villes et communes belges détiennent 77% de Fluxys, mais on peut toujours se demander s’il n’y a pas de conflit d’intérêts dans le chef du président. Gryffroy représente-t-il l’intérêt public au sein du conseil d’administration de Fluxys ou défend-il, avec son parti, les intérêts financiers de Fluxys au sein du Parlement flamand ?”, s’interroge Mattijs Van den Bussche, chargé de campagne chez Vredesactie.

La Flandre choisit-elle les droits de l’homme ?

Depuis deux ans, Fluxys affirme qu’elle se conformera immédiatement aux sanctions européennes si elles sont imposées. Maintenant que la Commission européenne – à l’instigation notamment du gouvernement fédéral belge – a effectivement formulé une proposition en ce sens, Andries Gryffroy – en sa qualité de président de Fluxys – souffle à nouveau le chaud et le froid. Toutefois, en tant que député flamand, lui et son parti sapent carrément la proposition de sanctions européennes.

Pour les organisations, il est temps que le gouvernement flamand montre ses couleurs : continuera-t-il à saper l’interdiction européenne du transbordement de GNL russe avec des arguments fallacieux pour le gain financier d’une entreprise ? Ou bien le gouvernement flamand accorde-t-il de l’importance aux droits de l’homme et soutient-il ces sanctions indispensables qui pourraient mettre un terme au financement de guerres inutiles et à grande échelle ?

Le contre-rapport de Vredesactie dénonce la dissimulation de la violence par le rapport officiel de Fluxys présenté aux actionnaires.

Lire également : RTBF, Pourquoi Fluxys est-il accusé d’être un “sponsor” de la guerre en Ukraine par Romane Bonnemé (9 décembre 2023)

 

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