Qui défend les intérêts des oligarques russes au sein du Parlement européen?
Cette caricature de Charlie Hebdo fait allusion aux résultats de l’élection “démocratique” du président russe en 2024. Tous les candidats potentiels de l’opposition ayant été écartés, le parti-frère russe du Rassemblement National a obtenu ce score qui reste cependant médiocre si on le compare aux résultats des élections en Corée du Nord.
Laurent Vogel, Comité belge du RESU
28 octobre 2024
Le 22 octobre, le Parlement européen a voté une résolution concernant l’utilisation des intérêts des capitaux russes gelés en Europe afin de financer le soutien à l’Ukraine. Cette résolution intervient dans le cadre de l’adoption d’un règlement proposé par la Commission européenne.
Il s’agissait d’une résolution assez consensuelle dans la mesure où elle portait sur une question précise et n’impliquait pas forcément un accord avec toutes les positions de l’Union européenne concernant l’agression russe en Ukraine. Cela explique qu’elle a obtenu un soutien plus large que d’autres résolutions en faveur de l’Ukraine adoptées depuis le début de cette législature. Le point central de la proposition de la Commission concerne les intérêts générés par les sommes immobilisées de la Banque centrale russe qui étaient détenues dans des pays d’ l’Union européenne. On estime qu’il s’agit de 4 à 5 milliards d’euros par an.
La résolution a été adoptée à une très large majorité : 518 pour, 56 contre et 61 abstentions.
Il est intéressant d’analyser quels sont les 117 députés qui ont essayé de protéger les intérêts financiers des oligarques russes.
La grande majorité d’entre eux proviennent de l’extrême-droite et de la droite radicale. Deux groupes ont fourni l’essentiel de ces voix : le Groupe « Europe des nations souveraines »(ENS) qui est formé autour du parti d’extrême-droite AfD en Allemagne et le groupe des “Patriotes pour l’Europe” qui est un des grands vainqueurs des élections européennes. C’est le successeur du groupe Identité et Démocratie (ID). ID disposait de 73 élus au début de la législature précédente (2019), PfE en dispose de 86 malgré l’exclusion de plusieurs de ses composantes.
Au cours de la législature précédente, l’AfD se trouvait dans le même groupe que le Rassemblement National français. Il a fini par en être viré à cause de propos ambigus sur les SS hitlériens et de sa volonté trop clairement exprimée de “rapatrier” les migrants et leurs descendants vers leurs “pays d’origine” (si l’on remonte à l’apparition de l’homo sapiens, il faudrait “rapatrier” toute la population européenne – y compris les “aryens”- vers l’Afrique, ce qui risque de prendre du temps et créera un fameux “appel d’air”). Cette filiation assumée du parti allemand par rapport à l’histoire du XXe siècle nuisait aux opérations de dédiabolisation du parti français qui voudrait bien se définir comme un amnésique de l’histoire.
L’autre groupe d’extrême-droite soucieux des avoirs de l’oligarchie russe est précisément le groupe « Patriotes pour l’Europe » (PfE) qui est co-dirigé par le Rassemblement national en France, le parti FIDEZS du premier-ministre hongrois Viktor Orban et la Lega de Matteo Salvini en Italie.
Malgré les divergences dans le choix des tenues de camouflage, l’extrême-droite sait s’unir lorsque des enjeux importants apparaissent.
L’addition des voix “ENS” et PfE” donne 39 des 61 abstentions et 27 des 56 “non”, soit 66 des 117 députés soucieux des intérêts financiers de l’oligarchie russe. Il faut y ajouter quelques députés d’extrême-droite parmi les NI et 6 députés dans le groupe ECR formé sous la direction du parti néo-fasciste “Fratelli d’Italia” de G. Meloni. La majorité de l’ECR (notamment le parti de Meloni) a cependant voté en faveur de la résolution.
Il y a aussi des Non Inscrits (NI) pour lesquels il est plus difficile de discerner une tendance politique homogène au niveau européen. Par définition, les NI sont les parlementaires dont personne n’a voulu dans les autres groupes. Les voix des non inscrits se sont partagées entre le « oui » (1 voix), le non (24 voix) et l’abstention (1 voix). C’est assez habituel: le point commun des NI est généralement de voter “non” quelle que soit la proposition qui leur est soumise. Au niveau national, en Allemagne, six des parlementaires non inscrits appartiennent à une scission populiste-nationaliste de Die Linke qui ne porte pas un nom de parti mais celui de sa dirigeante Sahra Wagenknecht. Pour la Grèce, les non inscrits se partagent entre le représentant du groupe néo-nazi antivax NIKI et les deux députés du Parti communiste. Ils ont voté ensemble pour le “non” comme ils votent généralement ensemble sur de nombreuses autres résolutions au nom du patriotisme grec.
A sein du groupe des Gauches : une nette majorité (32 voix sur 40) se dégage en faveur de l’utilisation des intérêts produits par les capitaux gelés. Les parlementaires LFI confirment que, sur l’Ukraine, ils restent fidèles aux positions adoptées par le Nouveau Front Populaire qui soutient l’Ukraine en lutte et son droit à recevoir des armes pour repousser les agresseurs. Huit députés se partagent entre le “non” » (2 voix correspondant aux partis communistes de Chypre et du Portugal) et l’abstention (6 voix). Les abstentions concernent les deux parlementaires du PTB en Belgique, le parlementaire d’EH Bildu (nationalistes basques qui font partie de l’actuelle majorité parlementaire en Espagne mais adoptent généralement des positions campistes sur les questions internationales), une des deux parlementaires de Die Linke en Allemagne, les deux parlementaires de Podemos en Espagne. Ce parti populiste de gauche qui s’est défini comme le pourfendeur de « la caste » dans son propre pays, a quelques faiblesses quand il s’agit de porter atteinte aux intérêts financiers d’une autre « caste » en Russie. Podemos a une politique internationale erratique, généralement campiste. En ce qui concerne “Die Linke”, le conflit est ouvert entre l’appareil du parti et la députée Carola Rackete qui a été élue comme indépendante sur la liste européenne de ce parti. Carola Rackete est connue pour avoir affronté le gouvernement italien en juin 2019 au cours d’une opération de sauvetage de migrants dans la mer Méditerranée. Des poursuites judiciares avaient été lancées contre elle. Les actions qui lui étaient reprochées auraient pu lui valoir une condamnation à 15 ans de prison. Carola défend une position internationaliste conséquente sur l’Ukraine (chose rare en Allemagne). ce qui lui vaut l’hostilité de l’appareil du Parti “Die Linke”.
Le groupe socialiste a voté massivement en faveur de la résolution, mais six députés se sont abstenus. Ce noyau “ukrainosceptique” est composé par des représentants socialistes des pays suivants : les 3 députés travaillistes de Malte, un député du PASOK en Grèce, deux députés du parti socialiste bulgare dont les orientations pro-russes sont connues depuis longtemps et dont on peut se demander pourquoi il n’a pas encore été exclu du groupe S&D. Entre autres choses, le Parti socialiste bulgare a soutenu une loi violemment homophobe qui a été adoptée au Parlement bulgare le 7 août dernier. Cette loi est presque un copier-coller de la loi en vigueur en Russie.
Au sein du PPE (le groupe majoritaire du Parlement européen) qui rassemble les formations de droite liées à la tradition démocratique-chrétienne, ce sont les 6 parlementaires de la section hongroise qui ont voté différemment du groupe et se sont abstenus.
Deux groupes ont soutenu la résolution de manière unanime: il s’agit des Verts et de Renew (libéraux).
Le bilan global pour la Belgique est que quatre parlementaires se sont abstenus tandis que tous les autres ont voté en faveur de la résolution. Les abstentions proviennent des deux représentants du Vlaams Belang (qui font partie du groupe des Patriotes pour l’Europe) et des deux représentants du PTB (Botenga et Kennes) qui font partie du groupe des Gauches. Généralement, le PTB justifie ses votes contre les sanctions anti-Poutine en disant qu’elles frappent aussi les “petites gens” en Russie. Dans le cas des intérêts issus de fortunes millionnaires placées dans les pays de l’Union européenne, on voit mal la portée de cet argument. Ce ne sont pas les retraités russes avec une pension misérable qui ont placé leur fortune en Europe !
Texte adopté par le Parlement européen: Résolution législative du Parlement européen du 22 octobre 2024 sur la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil établissant le mécanisme de coopération pour les prêts à l’Ukraine et accordant une assistance macrofinancière exceptionnelle à l’Ukraine (COM(2024)0426 – C10-0106/2024 – 2024/0234(COD))
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