Maksym Butkevych, défenseur des droits de l’homme, condamné, en appel par la Cour suprême de Moscou 

Article publié le 13 mars 2024 par le media russe indépendant Mediazone.

Traduit en français sur Médiapart, blog de Patricio Paris.

La Cour suprême de Moscou, après avoir examiné le pourvoi en appel, a confirmé la condamnation du militant ukrainien des droits de l’homme et antifasciste Maksym Butkevych. Le 10 mars 2023, un tribunal de la LPR [République Populaire de Louhansk, ndt] autoproclamée l’a condamné à 13 ans de prison pour avoir prétendument blessé deux femmes, alors qu’il se trouvait à Severodonetsk, en tirant une grenade sur l’entrée d’un immeuble résidentiel.

Chronologie du procès

11h21

Le militant ukrainien des droits de l’homme, journaliste et antifasciste Maksym Butkevych a été fait prisonnier en Russie en juin 2022, mais sa condamnation n’a été connue que le 10 mars 2023 par un communiqué de presse du département principal de la commission d’enquête.

Ce jour-là, le tribunal de la République populaire autoproclamée de Louhansk a déclaré Butkevych coupable de traitements cruels envers la population civile et des prisonniers de guerre, d’utilisation de méthodes interdites dans un conflit armé, ainsi que de tentative de meurtre sur deux personnes et détérioration délibérée de biens appartenant à autrui avec usage de violence.

Depuis 2008, Maksym Butkevych aidait les réfugiés et les migrants qui se sont retrouvés en Ukraine et surveillait les manifestations de xénophobie et de racisme, puis a commencé à travailler au bureau du Haut-Commissariat des Nations Unies aux réfugiés d’Europe de l’Est.

En 2012, Butkevych a fondé le centre des droits de l’homme Zmina et en 2013, il a cofondé la radio Hromadske. Après l’invasion russe de la Crimée et du Donbass en 2014, Butkevych a coordonné le Centre de ressources pour l’assistance aux personnes déplacées. Après le début d’une guerre à grande échelle, il s’est enrôlé dans les forces armées ukrainiennes.

L’enquête a insisté sur le fait que le 4 juin 2022, à Severodonetsk, où se trouvait le militant des droits humains, il n’y avait aucune action militaire et que seuls des civils s’y trouvaient. Un peloton sous le commandement de Butkevych occupait l’un des appartements d’un immeuble résidentiel. Apercevant des gens dans l’entrée de la maison en face de la fenêtre, Butkevych aurait décidé de leur tirer dessus avec un lance-grenades Panzerfaust-3 «dans un but d’intimidation» et aurait blessé deux habitantes de l’immeuble.

«Hrati» a écrit que l’unité de Maksym Butkevych avait été redéployée de Kiev vers le Donbass dix jours seulement après les actes qui lui étaient reprochés.

Le 22 août 2023, la première cour d’appel de juridiction générale a examiné l’appel de la condamnation de Butkevych et a confirmé la décision du tribunal de la LPR. Après cette audience, l’Ukrainien a disparu pendant plusieurs mois – ni ses proches, ni son avocat, Leonid Soloviev, ne savaient où il se trouvait. Ce n’est qu’à la fin de l’année dernière que Butkevych a été retrouvé dans une colonie à Krasny Lutch, dans la région occupée de Louhansk.

11h21

Des auditeurs ont été autorisés à assister à l’audience. Les trois juges sont également dans la salle. Le jury d’alors: Oleg Kimovich Zatelepin, Evgueni Yurievich Zemskov, Nikolai Pavlovich Dubovik.

Le parquet est représenté par la procureure Fillipova. Butkevych est défendu par l’avocat Leonid Soloviev. Avant le début, il a traversé la salle d’audience pour discuter avec son client.

Maksym Butkevych lui-même a participé à l’audience par vidéoconférence depuis le centre de détention provisoire n° 1 de Louhansk. «Je suis très heureux de vous voir», a dit brièvement Butkevych au public.

La présidente du Comité d’assistance civique, Svetlana Gannushkina, et six autres auditeurs sont venus soutenir le militant ukrainien des droits de l’homme.

11h25

L’avocat, Leonid Soloviev, a demandé d’inclure un protocole de vérification des pièces en date du 17 août 2022 – la facture téléphonique de Butkevych. Il a indiqué que le 4 juin 2022, Butkevych se trouvait à Kiev et non à Severodonetsk, comme le prétend le ministère public.

Le deuxième document de Soloviev est un interrogatoire par un avocat d’une Française qui a rencontré Butkevych à Kiev le 7 juin 2022. Cela prouve également qu’il se trouvait loin de Severodonetsk et qu’il n’a pas pu commettre le crime en question.

Butkevych lui-même a appuyé l’ajout des documents. L’avocat, Soloviev, a noté séparément qu’au cours de l’enquête, Butkevych a admis s’être «auto-incriminé» en reconnaissant sa culpabilité.

La procureure Filippova est contre l’ajout de documents. Elle a considèré que les factures détaillées d’appels téléphoniques ne sont pas considérées comme valides par le tribunal. Concernant l’interrogatoire de l’avocat [de la française, ndt], elle a ajouté qu’en appel, on n’examine pas le fond du dossier.

Le trio de juges s’est retiré pour décider d’ajouter ou non les nouvelles pièces [au dossier, ndt].

11h31

On montre à Butkevych sur un petit écran de téléphone ses parents par un appel vidéo. Comme les huissiers ont immédiatement coupé le son de la salle, ils tentent de communiquer avec leur fils par gestes. Il a hoché périodiquement la tête de compréhension.

11h36

Les juges sont revenus dans la salle. Ils ont refusé de joindre les documents, car en substance l’avocat a proposé de réexaminer les preuves, ce qui ne relève pas de la compétence de l’autorité de la Cour d’Appel.

11h42
Le juge Oleg Zatelepine a résumé le fond de l’affaire. À ce moment-là, Butkevych a disparu de la cellule de transmission vidéo du centre de détention provisoire.

Le juge n’en a pas été gêné et a continué son résumé.

Après cela, l’huissier a transmis une note aux juges. Le juge a appelé Butkevych. Il s’avère que celui-ci [Butkevych, ndt] a tendu son oreille vers le haut-parleur pour mieux entendre.

11h45
L’avocat Soloviev répète dans son intervention qu’il n’y a aucune preuve de la culpabilité de Butkevych dans cette affaire.

«Nous ne contestons pas du tout qu’il y a eu des victimes et des dommages», affirme l’avocat de la défense. En fait, la culpabilité du militant des droits de l’homme ne peut être prouvée que par les aveux de Butkevych lui-même, note l’avocat; il n’existe aucune autre expertise, ni preuve dans le dossier.

Outre les aveux obtenus, il y a aussi dans le dossier des éléments de preuve de la présence de Butkevych sur le lieu du crime. Mais le tribunal ne les a en aucun cas vérifiés. Selon l’avocat de la défense, l’absence d’autres preuves de la culpabilité de Butkevych est une raison pour annuler le verdict et réexaminer l’affaire.

12h10
Maksym Butkevych a commencé à parler. C’était non audible – on ne pouvait distinguer que des mots isolés. Butkevych a affirmé que toute sa vie, il s’est occupé de la défense des droits des citoyens, ce qu’est en contradiction avec l’accusation avancée.

Finalement, les juges lui ont demandé de s’éloigner pour mieux se faire entendre, mais cela n’a pas aidé beaucoup.

Butkevych s’est mis d’accord avec son avocat selon lequel, hormis son témoignage initial, il n’y a aucune autre preuve dans le dossier. Il a noté que le tribunal n’a pas cherché à comprendre pourquoi, après deux mois de captivité, il avait soudainement modifié son témoignage.

«Je n’ai entrepris aucune action contre la population civile qui pourrait être considérée comme une violation des normes internationales», a déclaré Butkevych et a souligné à nouveau qu’il n’était tout simplement pas présent à l’endroit et au moment indiqués dans le verdict.

Il a expliqué avoir avoué parce qu’on avait promis aux prisonniers de guerre qu’après coopération à l’enquête et condamnation rapide, ils seraient aussitôt échangés. Ainsi, de nombreux Ukrainiens ont admis avoir commis quelque chose qu’ils n’avaient pas fait.

«Butkevych, parlez de vous! et non des autres!» – Le juge Zatelepine l’a interrompu.

«Je compatis vraiment avec les victimes», a dit Butkevych. En même temps, il ne se fait aucune illusion quant à «la justice» dans le cadre du système existant en Russie.

Le juge Zatelepine a précisé encore une fois: Butkevych déclare s’être lui-même incriminé et qu’il n’était pas à Severodonetsk.

«L’auto-incrimination était conditionnée… D’un côté, il m’a dit que si je donnais mon accord, alors après mon jugement, on m’échangerait rapidement contre un prisonnier de guerre condamné des forces armées russes. Comme autre argument, on m’a expliqué que si je refusais, je serais soumis à diverses méthodes de sévices physiques. Certaines [méthodes] m’ont été démontrées», répond Butkevych en choisissant soigneusement ses mots.

12h12

«Les arguments invoqués par Butkevych lui-même ne peuvent être considérés comme convaincants. Tous les interrogatoires ont été menés en présence d’un avocat et confirmés par Butkevych lors de l’audience du tribunal [à Louhansk]. Ils lui ont expliqué les normes de l’article 51 de la Constitution de la Fédération de Russie [sur le droit de ne pas témoigner contre soi-même]», note la procureure Filippova.

Après cela, les juges sortent pour délibérer.

12h19
«Une personne extrêmement positive», s’est étonné Svetlana Gannushkina en attendant la décision, en regardant Butkevych souriant sur l’écran.

Les auditeurs ont montré des lettres et des timbres à Butkevych, il a répondu avec son pouce levé – le son de la transmission a été à nouveau coupé.

Les huissiers ont autorisé à montrer à Butkevych le téléphone avec l’appel vidéo de ses parents.

12h27
Les personnes rassemblées ont dit à Butkevych que les lettres n’arrivent plus en 2 mois comme avant, mais en 18 jours.

Il a été très surpris.

Il a communiqué qu’il aime et se souvient de tout le monde – tout cela avec des inscriptions sur des feuilles de papier.

«Patient. Vif. Je pense à chacun», a-t-il écrit.

L’avocat Soloviev a demandé au micro si la colonie de Krasny Loutch, où est détenu Butkevych, disposait d’un système de comptes personnels pour les prisonniers.

«Ils promettent»,  a-t-il répondu. Selon Butkevych, les visites longues y sont déjà autorisées.

12h32
Les juges sont revenus dans la salle.

La sentence contre Butkevych est restée inchangée.

Les personnes présentes n’ont pas été autorisées à dire au revoir au militant des droits de l’homme: la transmission a été immédiatement coupée.

 

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