Pour la liberté de Maksym Butkevytch, journaliste et activiste ukrainien fait prisonnier par les Russes
Le vendredi 10 mars 2023, le Comité d’enquête de la Fédération de Russie publiait l’annonce de la condamnation à 13 ans de prison de l’activiste ukrainien et prisonnier de guerre Maksym Butkevytch. Le 22 août 2023, la Cour d’appel de Moscou a confirmé ce verdict. Maksym n’a pas été autorisé à se présenter devant la Cour. Il a été obligé de se limiter à parler en visioconférence. L’avocat de Maksym a dénoncé les tortures qui lui ont été infligées afin de signer des « aveux » écrits à l’avance par les forces de sécurité. A l’occasion de cette audience, le comité russe de défense des droits humains Memorial (désormais interdit en Russie) a dopté une déclaration pour la libération de Maksym indiquant que « grâce à Maksym, plus d’une vie humaine a été sauvée ».
À Kyiv, sa famille et ses proches ont de bonnes raisons de craindre pour sa vie. Ils appellent à faire pression sur les les autorités ukrainiennes pour que Maksym puisse faire l’objet d’un échange de prisonniers.
Maksym Butkevytch le soldat
Issu des milieux anti-autoritaires, Maksym Butkevytch a toujours été un anti-militariste de conviction. Pourtant, dès le premier jour de l’invasion russe, il s’engage dans la défense territoriale, constituée de réservistes et de volontaires civils ukrainiens.
« Les temps sont tragiques », déclare-t-il alors, « chacun fait ce qu’il peut là où il se trouve. »
Une fois l’armée russe chassée de Kyiv, Maksym se rend dans le Donbass pour continuer la lutte armée . Le 24 juin 2022, il tombe avec treize de ses camarades dans une embuscade dans les environs de Luhansk. Le jour même, la machine de propagande russe se met en branle. Divers médias russes diffusent l’annonce de l’arrestation d’un « propagandiste ukrainien connu », un « fasciste » et un « nazi », « commandant d’un escadron de la mort » ukrainien.
Cet emballement pousse ses proches à tirer la sonnette d’alarme. Au regard du parcours de Maksym, il illustre en effet l’usage orwellien que fait la propagande russe des mots et des idées.
Un parcours d’activiste hors-norme
L’histoire de Maksym Butkevytch est celle d’un engagement sans faille en faveur de la liberté et des droits
Il intègre en 1993 la faculté de philosophie de l’université Taras Chevtchenko de Kyiv et rejoint le syndicat étudiant « Priama Diya » (« Action directe »), avec lequel il participera à de nombreux mouvements et se confrontera à la dérive autoritaire du gouvernement de Leonid Koutchma à partir de la fin des années 1990.
À partir de 1998, Maksym est employé par différentes chaînes de télévision nationales (« STB », « 1+1 »…) pour couvrir les événements internationaux. Son travail de journaliste lui permet de développer son intérêt pour des questions brûlantes, en particulier les inégalités sociales et internationales, les conflits et le mouvement altermondialiste, au sujet duquel il réalise un premier film documentaire. En 2003, il est engagé comme correspondant par le BBC World service et déménage à Londres, d’où il suit avec attention la révolution orange qui secoue l’Ukraine à l’hivers 2004-2005. Avide de connaissance, il obtient également un master en anthropologie appliquée.
Lorsqu’il rentre en Ukraine en 2006, Maksym fait face à la polarisation de la société autour des enjeux migratoires et à la montée du racisme et de la xénophobie. Il anime alors une campagne de soutien à un groupe de candidats à l’asile ouzbeks livrés aux autorités de leur pays par les services de sécurité ukrainiens. Cette expérience l’amène à monter le projet « Biz kordoniv » (« sans frontières »), qui vise à apporter un soutien juridique et social aux candidats à l’asile et à faire pression sur les autorités ukrainiennes pour le respect des droits des personnes migrantes et des conventions internationales. Le projet vient en aide à des dizaines de candidats réfugiés issus principalement d’Ouzbékistan, du Bélarus et de Russie. Face à l’inefficacité des mécanismes existants en Ukraine, « sans frontières » s’engage dans la lutte contre les discriminations et la défense de victimes des crimes de haine.
En 2007, il devient membre de la direction d’Amnesty international Ukraine. En 2011 il est engagé par l’antenne ukrainienne de l’UNHCR qu’il quitte au bout d’un an pour revenir à une action « de terrain », et devient membre de la direction du centre pour les droits humains ZMINA. En 2013, il contribue à créer la radio indépendante et citoyenne Hromadske. En 2014, suite à l’annexion de la Crimée et au lancement des hostilités dans le Donbass, il s’engage avec le groupe « sans frontières » dans l’aide et le soutien aux déplacés internes.
Tour à tour chargé de cours à l’Université de Kyiv-Mohyla, membre du Conseil public au ministère des Affaires intérieures, intervenant dans des séminaires, des ateliers et divers médias, Maksym Butkevytch n’a jamais cessé de sensibiliser et d’éduquer sur des thèmes comme le racisme, la xénophobie, les discriminations. Sans relâche, il a mis en garde contre l’extrême droite, en Ukraine et en Russie, et a rappelé l’importance de l’action directe et de l’organisation de base. Comme il aimait à le rappeler, son engagement est en faveur d’ « une Ukraine libre et solidaire. »
La dernière campagne de masse menée par Maksym est celle pour la libération des prisonniers politiques de Crimée. Pendant longtemps, on a pu le voir écumer les événements publics, comme le festival du film documentaire « Docudays » à Kyiv, arborant son pull à l’effigie du réalisateur Oleg Sentsov et de son co-prisonnier Oleksandr Koltchenko, respectivement condamnés à 20 et 10 ans de prison pour « actes terroristes » par une cour russe. Cette campagne a abouti en septembre 2019 sur un échange de prisonniers qui avait permis à Sentsov et Koltchenko de rentrer en Ukraine. Aujourd’hui, c’est Maksym Butkevytch qui doit faire l’objet d’une telle solidarité et d’un échange de prisonniers.
Un procès monté de toute pièce
Ce 10 mars, dans une parodie de procès montée par la « Cour suprême » de la République populaire de Louhansk, Maksym Butkevytch a été condamné à 13 ans de prison. Il a été a été déclaré coupable de mauvais traitements envers la population civile, d’usage de méthodes interdites dans un conflit armé, de tentative de meurtre et de dommages intentionnels à la propriété d’autrui. Concrètement, Maksym est accusé d’avoir délibérément tiré, le 4 juin 2022 au moyen un lance-grenades, sur l’entrée d’un immeuble résidentiel à Severodonetsk, dans la région de Louhansk. Une « confession » filmée du captif aurait servi d’élément à charge.
Selon les données récoltées par des organisations de défense des droits humains, l’unité à laquelle appartenait Maksym Butkevych, n’a même pas été déployée dans la région de Severodonetsk. L’ opacité la plus complète entoure les conditions de vie des prisonniers de guerre faits par les Russes, qui refusent toute visite d’observateurs indépendants dans les lieux de détention. Les procédures judiciaires dans les régions d’Ukraine occupée ne respectent par ailleurs aucun des critères d’un procès équitable, et il ne fait pour nous aucun doute que ces accusations et la confession filmée de Maksym relèvent de la propagande de guerre.
Le Comité belge du Réseau européen de solidarité avec l’Ukraine se joint dès lors à la campagne internationale en faveur de la libération de Maksym Butkevytch. Nous demandons la levée des mesures prises à son encontre, afin qu’il puisse faire l’objet d’un échange de prisonniers.