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"Les chevaux de feu"
Une étoile filante dans le ciel du cinéma soviétique

Adaptation d’un classique de la littérature ukrainienne, ce film de Paradjanov a révélé l’esthétique passionné de son auteur pour réaliser un cinéma-peinture fait d’une succession de tableaux vivants. La volonté de réaliser ce film en dialecte houtsoule entrait en contradiction avec les canons linguistiques du cinéma soviétique.

A l’occasion de sa projection à Bruxelles, dans le cadre de notre cycle “L’heure de l’Ukraine. Parcours du cinéma ukrainien”, nous publions ce dossier établi par la cinémathèque de Caen.

 

Ce film est un drame poétique relatant l’histoire d’amour d’Ivan et Marichka, inspiré des légendes populaires des Carpates. 

En portant son déjeuner à son frère Olekso, Ivan est involontairement responsable de sa mort. En voulant le protéger d’un arbre qu’il abat, Olekso le reçoit sur le thorax. Ivan s’enfuit dans la neige.
“Les Carpates, pays des Houtsoules, terre oubliée de dieux”. Olekso est enterré. Un dimanche, Ivan et ses parents sont à l’église. Devant un tableau du diable devant Jésus, Ivan interroge son père. “Dans l’église, il n’y a ni diable ni Satan” lui répond celui-ci, puis désignant le riche Onoufri Goutenuk : “Satan vit parmi les hommes : il donne de l’argent à Dieu mais fait souffrir les pauvres”. Tout le monde rit de cette méchante remarque. Onoufri traite Petrik de mendiant. Celui-ci le poursuit alors mais Onoufri sort sa hache et tue Petrik. Le sang envahi l’écran ainsi que l’ombre de chevaux rouges en plein galop. Ivan se précipite vers la jeune Maritchka, et l’entraine vers la rivière en lui volant son écharpe mais les deux enfants se réconcilient.

“La rencontre avec une fille permit à Ivan d’oublier la mort de son père”. Ivan et Marichka. C’est le printemps. Enfants, Ivan et Marichka jouent dans les prés et se retrouvent seuls le soir autour d’un feu. Devenus adultes les deux amants projettent de se marier en dépit de l’antagonisme de leurs familles. Présentement, Ivan, au grand désespoir et à la honte de sa mère, doit aller travailler comme valet dans les alpages. Il demande à Marichka de l’attendre pendant l’hiver. Cherchant à le rejoindre dans les montagnes et voulant sauver un mouton, Marichka fait une chute mortelle dans un torrent. Ivan devient très solitaire, maigrit et vieillit à vue d’œil.

Palagna, une femme pleine de désir pour lui, l’amène au mariage. Les vieilles femmes lavent Ivan pour la cérémonie au terme de laquelle les époux sont laissés seuls, attachés l’un à l’autre par un joug, les yeux couverts d’un bandeau. Durant Noël et ses fêtes, Ivan se lamante que Palagna ne lui ait encore pas donné d’enfant. Nue dans la campagne elle invoque les saints pour obtenir une descendance. Une espèce de sorcier maîtrise une tempête ravageant la région. Il remarque Palagna et la prend. Dans une taverne, Ivan et le sorcier se battent sauvagement. Ayant trouvé son maître, le sorcier envoûte Ivan qui erre halluciné dans les montagnes. Le fantôme de Marichka l’entraîne dans la mort. Les mêmes vielles femmes qui avaient lavé le futur marié lavent maintenant son cadavre. Comme le veut la coutume, on s’agite autour du cercueil, lui-même agité d’un mouvement trépidant.

Adapté de la nouvelle Les Ombres des ancêtres oubliés, Les chevaux de feu est un conte situé dans les Carpates orientales sur la tragédie d’un amour impossible entre Ivan et Maritchka, dont les familles se détestent. L’action est divisée en chapitres intitulés : Ivan et Marichka ; les Alpages ; Solitude ; Ivan et Palagna ; Les masques de Noël ; C’est demain le printemps ; Le sorcier ; Envoûtement et mort d’Ivan.

L’appel antique et passionné des cors résonne tragiquement sur une foire pleine de vie et de couleurs éclatantes. Des coups du sort, la foire de la vie sépare les amants. Marichka disparait tragiquement l’étoile de l’amour lointain se rallume et la nature reprend ses droits. Des froids rivages de la mort, Miriska Marichka. Son appel devient plus fort que celui de la nouvelle femme. celle-cie veut engendrer la vie et appelle les forces de la sorcellerie.

Paradjanov décrit des rites, des couleurs, des traditions médiévales, la force brute des éléments. Pour répondre à son ambition, un film doit être comme un objet artisanal, aux facettes multiples, reflétant le folklore, les coutumes, les rites quotidiens, l’inconscient et le conscient d’un peuple : ici les Goutzouls des Carpates. Souvent, la caméra court dans tous les sens comme si le temps pressait et aller manquer pour mener à bien cette quête à la fois poétique et ethnologique. La fantasmagorie ciselée en esthète par Paradjanov est d’une beauté étrange et précieuse, due en partie à son authenticité plastique aussi bien que musicale.

Sur Sergueï Paradjanov

Serguei Paradjanov, de son vrai nom Sarkis Paradjanian, est né à Tbilissi, en Géorgie, le 9 janvier 1924, de parents arméniens.

De 1942 à 1945, il étudie le chant au conservatoire de musique de sa ville natale. Il s’initie également à la peinture. En 1946, il entre à l’Institut cinématographique d’État, le V.G.I.K., à la section de mise en scène. Élève du réalisateur ukrainien Igor Savtchenko, il est également son assistant pour certains de ses films. 

En 1950, Paradjanov se marie avec Nigyar Kerimova, à Moscou. D’origine musulmane tatare, elle se convertit à la religion orthodoxe pour l’épouser. Elle sera plus tard assassinée par des parents qui ne lui ont pas pardonné cette conversion. Il achève ses études sous la direction de Mikhail Romm en 1952. Cette année-là, il obtint son diplôme de réalisateur, que paraphe Dovjenko. Un an plus tard, il est assistant de Vladimir Braun sur le film Makimka, puis, dès 1954, il entre aux studios Dovjenko, à Kiev, et réalise plusieurs courts-métrages et documentaires en langue ukrainienne (Doumka, Les Mains d’or, Natalia Oujvy). Il apprend l’ukrainien et se remarie avec Svetlana Ivanovna Cherbatiouk en 1956. Elle lui donnera un fils (Suren, 1958).

Ses films singuliers sont souvent influencés par la diversité ethnique de sa région natale, le Caucase, et mêlent réalité sociale, folklore, légendes et chamanisme. Ses premières œuvres, tournées en Ukraine (et inédites et France), sont assez proches du réalisme socialiste (comme Le premier gars, amourettes champêtres dans un kolkhoze) jusqu’à la rupture des Chevaux de feu (1964). Paradjanov adapte la nouvelle “Les Ombres des ancêtres oubliés”, d’un écrivain ukrainien du début du siècle, Mikhail Kotzubinsky. Le film, perçu comme un signe de renouveau dans le classicisme du cinéma soviétique, remporte de nombreuses récompenses internationales, notamment le 1er Prix du Festival de Mar del Plata. Paradoxalement, c’est à cette époque que commencent pour lui les difficultés avec les autorités. Paradjanov qui prend position en faveur d’intellectuels ukrainiens dissidents, sera pour l’Occident le premier symbole officiel de l’oppression des artistes soviétiques (Tarkovski en sera un autre). Son chef d’œuvre est désavoué par les autorités de Moscou parce qu’il est tourné en dialecte houtsoul (des Carpates ukrainiennes) et non doublé en russe. C’est une des raisons pour lesquelles, certains historiens du cinéma le considéreront comme un exemple de cinéma ukrainien. Il est également désavoué par le cinéaste lui-même parce qu’on l’a raccourci contre son gré, mais aussi parce qu’il ne correspond pas au cinéma non narratif auquel il aspire… peut-être liées
En 1968, Serguei Paradjanov s’installe à Erevan et travaille avec la communauté arménienne à la réalisation de Sayat nova. 

Ce film, récit à la fois historique, poétique et baroque, sur la vie du poète arménien du XVIIIe siècle Sayat Nova, est très vite retiré de l’affiche en raison de son anticonformisme, esthétique, loin du réalisme socialiste de rigueur, et idéologique, les allusions au nationalisme arménien étant par trop évidentes. Dès la sortie de son film en 1969, Paradjanov est pratiquement condamné au chômage ; ses différents projets sont, soit refusés, soit interdits. Par la suite, tous ses projets de films sont refusés et ses prises de positions publiques contre l’arrestation de journalistes et d’intellectuels ukrainiens le marquent d’une croix rouge.

Remontée par Youtkevitch, une nouvelle version, censurée, est présentée à Moscou en 1971… pour être retirée après deux semaines d’exploitation ! De graves ennuis attendent alors le cinéaste. 

En décembre 1973, il est arrêté et accusé de “trafic d’icônes et de devises”, d'”incitation au suicide”, d'”homosexualité”… ce dernier délit le condamnant, en avril 1974, à cinq ans de camp de travail, malgré des troubles de la vue et une maladie cardiaque. Paradjanov fait la une des journaux lorsqu’il est incarcéré. Les comités se mobilisent (en France, Yves Saint Laurent, Françoise Sagan, et surtout Louis Aragon, montent au créneau). Le pouvoir reproche implicitement au cinéaste de promouvoir le nationalisme. On annonce son suicide en 1976 alors que son état de santé est alarmant. L’opinion internationale s’émeut et entreprend de nombreuses démarches auprès des autorités soviétiques pour obtenir la libération immédiate de Paradjanov. La rumeur de sa mort persiste et en août de l’année 1977, les milieux arméniens parlent du suicide du détenu dans sa cellule… Les nouvelles les plus contradictoires circulent; on apprend bientôt, pourtant, que Serguei Paradjanov a été libéré le 30 décembre 1977, par suite d’une remise de peine. 

C’est en prison et dans les années qui suivirent, que Paradjanov produira la majorité de ses dessins et collages, qui constituent une part importante de sa création. 

“Libre”, il s’installe en Géorgie, dans sa maison natale et tourne clandestinement Le signe du temps (1979), court-métrage de sept minutes qui témoigne de sa présente détresse et où il décrit sa vie quotidienne et celle de ses amis.
De par l’interdiction d’exercer son activité de cinéaste, il ne survit que grâce à l’aide d’amis; (“En prison, déclare-t-il, ma vie avait un sens, il y avait une réalité à surmonter. Ma vie présente n’a aucune valeur. Je ne crains pas la mort, mais cette vie-là est pire que la mort”) Il souhaite obtenir un visa pour la France… qui lui est refusé malgré les pressions de nombreuses personnalités artistiques françaises. 

Paradjanov est de nouveau arrêté le 11 février 1982, avec l’accusation de corruption. Jugé par le tribunal de Tbilissi en octobre, il est libéré en novembre de la même année. 

En 1984, il entreprend La légende de la forteresse de Souram (1986), tirée d’une nouvelle du Géorgien Daniel Chonkadzé selon laquelle une forteresse ne peut être sauvée de la ruine que si un homme y est emmuré. Le film est tourné en plans larges fixes et frontaux. Après le court-métarge documentaire, Arabesques sur le thème de Pirosmani (1985), il entreprend Achik Kerib, conte d’un poète amoureux (1988) qui sera son dernier film. Tiré d’une nouvelle du poète russe Mikhaïl Lermontov, il rappelle les contes des Mille et une nuits : un jeune troubadour pauvre tombe amoureux de la jolie fille d’un riche marchand. Pour pouvoir l’épouser il décide de faire fortune en parcourant le monde… Paradjanov dédiera ce film à son grand ami le cinéaste Andreï Tarkovski.

Il avait à peine commencé le tournage de La confession (d’après Lermontov), une allégorie ouvertement politique (et polémique), quand il meurt d’un cancer mais aussi épuisé par des années de prison (il avait 66 ans, le 20 juillet 1990 à Erevan en Arménie). Les quelques plans qu’il a réussi à tourner seront inclus dans le film Paradjanov : le dernier printemps, réalisé par son ami proche Mikhaïl Vartanov en 1992. Il laisse une œuvre inachevée, ancrée dans les remous de l’histoire du Caucase, habitée par le merveilleux d’un Orient mythique, et dans laquelle “littérature, histoire, ethnographie et métaphysique se fondent en une unique vision cinématographique, en un acte unique”. Pour Paradjanov, l’essentiel n’était pas la narration, mais la vision, l’image. Il disait s’inspirer souvent de ses rêves et ne faisait pas de distinction entre un tableau et un film. 

 

T.Y.: Paradjanov a évolué simultanément au sein de plusieurs sphères : arménienne, géorgienne, ukrainienne russe… il maîtrisait toutes ces langues et a œuvré à construire un langage aussi unique qu’harmonieux. Est-ce un miracle du « soviétisme » ? 

S.A.: Oui, le fait d’être multiculturel, de parler plusieurs langues, de s’intéresser à la culture ancestrale et populaire des différentes républiques, lui a permis de devenir universel dans son rapport au récit et surtout d’inventer une approche du langage cinématographique encore jamais vue ni entendue. Son cinéma est unique car il est vierge de références. Il est aussi juste de constater que les artistes de type « homo sovieticus » ont souvent eu cette capacité de résistance et d’inventivité. Ils ont su utiliser le système au profit de leur art : l’absence de frontières entre les républiques soviétiques de l’époque, le fait qu’un artiste pouvait faire ses études à Moscou, puis exercer à Kiev, revenir à Tbilissi ou à  Erevan ont contribué à un élargissement culturel évident.

(Extrait d’une conversation de Tigrane Yégavian avec Serge Avédikian, auteur du “Scandale Paradjanov”.

Publié par Syma News.

 

Filmographie

Films inachevés : Les Fresques de Kiev (1965) et Confession (1990).

Court-métrages : Un conte moldave (Moldovskaya skazka, 1951, 0h48), Doumka (1957, documentaire), Natalia Oujvi (Natalya Uzhviy 1957, 0h40, documentaire), Kivski Freski (1966, 0h13), Hakop Hovnatanian (1968, 0h08, documentaire), Le signe du temps (1979, 0h07), Arabesques sur le thème de Pirosmani (Arabeskebi Pirosmanis temaze 1985, 0h25).

1954 Andriesh (co-réalisateur avec Iakov Bazelian). Avec Giuli Chokhonelidze, Konstantin Russu, , Nodar Shashik-ogly, Lydia Sokolova. 1h03.

1959 Premiers gars (Pervyy paren). Avec : Varvara F. Chaika (la mère de Odarka), G. Karpov, Yelena Kovalenko, Y. Saratov, Lyudmila Sosyura. 1h21.

1961 Rhapsodie ukrainienne (Ukrainskaya rapsodiya). Avec : Olga Reus-Petrenko (Oksana Marchenko), Yevgenia Miroshnichenko (Oksana Marchenko), Eduard Koshman (Anton Petrenko), Yuriy Gulyayev (Vadim), Natalya Uzhviy (Nadyezhda Petrovna), Aleksandr Gay (Vayner), Valeriy Vitter (Rudi). 1h28.

1962 Une fleur sur la pierre (Tsvetok na kamne). Avec : Lyudmila Cherepanova (Lyuda), Boris Dmokhovsky (Vachenko), G. Karpov (Griva), I. Kirilyuk (Kristina). 1h11.

1964 Les chevaux de feu (Tini zabutykh predkiv). Avec : Ivan Nikolaitchouk (Ivan), Larissa Kadotchnikova (Maritchka), Tatiana Bestaéva (Palagna). 1h35.

L’action située dans les Carpates à une époque indéterminée mais lointaine est divisée en chapitres intitulés : Ivan et Marichka ; les Alpages ; Solitude ; Ivan et Palagna ; Les masques de Noël ; C’est demain le printemps ; Le sorcier ; Envoûtement et mort d’Ivan ; Picta.

1968 Sayat nova (La couleur de la grenade). Avec : Sofiko Tchiaoureli (le poète jeune), Melqon Alekian (le poète enfant). 1h17. De l’enfance aux derniers instants du poète arménien Sayat Nova. La vie, l’amour, les angoisses spirituelles, la mort de cet artiste du XVIIIe siècle, évoquées au cours de douze chapitres.

1986 La légende de la forteresse de Souram (Legenda o suramskoj kreposti). Avec : Levan Uchaneishvili (Zourab), Veriko Andjaparidze (La devineresse). 1h30. Dans les temps les plus reculés, les Géorgiens décidèrent de construire une forteresse pour leur pays contre les invasions. Mais celle-ci s’effondre dès que l’on parvient au niveau du toit. Pour achever la forteresse, un beau garçon doit accepter d’y être emmuré vivant…

1988 Achik Kerib, conte d’un poète amoureux (Achik Kérib). Avec : Youri Mgoian (Achik Kérib), Sofiko Tchiaourelli (Magoul- Méguérie), Ramaz Tchekhivardze, Véronique Métonidzé, Lévan Natrochvili. 1h20. L’histoire, en forme de conte, est celle d’un amour absolu entre Achik Kérib, jeune poète pauvre, qui chante la geste des preux avec son luth, et Magoul-Méguérie, la fille d’un riche marchand. Le père refuse le mariage déshonorant de sa fille avec ce vagabond. Achik Kérib doit alors faire fortune en mille jours et mille nuits pour obtenir le consentement paternel.

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