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Solidarité internationale par le bas depuis la Suisse : livraison de matériel scolaire au village de Starosillya

Pour le RESU la solidarité du bas vers le bas est essentielle. Elle permet de répondre au mieux aux besoins des nombreuses organisations populaires qui contribuent à la résistance ukrainienne. Elle établit des rapports directs entre ces organisations et les activistes de la solidarité en Europe. Elle inscrit l’Ukraine dans nos propres luttes ici pour une société plus juste. Un témoignage de nos camarades du canton du Vaud en Suisse.

Alors que l’agression meurtrière de l’armée russe se poursuit en Ukraine, les tristes conséquences des réalités de cette guerre demeurent invariables : une population civile meurtrie, des familles déchirées, des villes en ruines, et une crise humanitaire dévastatrice persistante, jetant une ombre sur la vie de milliers d’Ukrainien·nes.

Dans une grande partie du pays, les efforts sur le plan humanitaire sont encore à ce jour largement assumés par des personnes bénévoles issues de la société civile qui, face aux besoins urgents et vitaux de la population affectée, se sont organisées spontanément dès le début de l’invasion à grande échelle. Leur dévouement désintéressé constitue un pilier fondamental de l’incroyable résilience de la population en Ukraine, et leur travail acharné ne peut que susciter une profonde admiration pour la solidarité dont ils et elles font preuve. Il est cependant essentiel de ne pas laisser ce sentimentd’exaltation occulter le fait que ces initiatives pallient avant tout un manquement flagrant du gouvernement ukrainien à cet égard. En effet, c’est principalement l’incapacité de ce dernier à répondre de manière adéquate aux besoins essentiels de la population, qui a d’abord incité les citoyens à s’auto-organiser pour résoudre ces problèmes.

Les Anges de fer, des ouvrières de Kryvyï Rih

L’association des Anges de fer, incarnée par un groupe d’ouvrières de la ville de Kryvyï Rih, dans l’oblast de Dnipropetrovsk, constitue un exemple remarquable de cette mobilisation par le bas. Après plusieurs mois d’occupation spontanée de la maison de la culture de leur quartier, transformée en centre d’accueil et de distribution de l’aide humanitaire aux personnes déplacées des régions occupées, elles décidèrent de fonder une association indépendante. Celle-ci tire son nom de la forte activité minière et sidérurgique pour laquelle la ville natale de ces femmes est connue. Toutes les personnes impliquées dans cette initiative sont des bénévoles : certaines travaillent toujours dans la mine ou à l’usine et consacrent à l’association leur temps libre ; d’autres sont déjà à la retraite, en congé maternité, ou en temps partiel imposé. La plupart de leurs conjoints et maris se sont mobilisés pour soutenir l’effort de guerre en rejoignant les rangs de l’armée.

Durant les quatre premiers mois de l’invasion, l’association a aidé plus de 18000 personnes fuyant les combats de l’oblast de Kherson, dont la rive droite était alors partiellement occupée, en leur fournissant principalement des vêtements, des chaussures et des couvertures. Depuis lors, leur action s’est étendue aux oblasts de Donetsk, Kherson, Zaporijia, Dnipropetrovsk, Tcherkassy et Kharkiv, vers lesquels plus de 100 convois humanitaires ont été organisés pour subvenir aux besoins des habitant·es des villages libérés de ces régions. Les conditions de vie dans ces villages restent extrêmement difficiles : la plupart des maisons ont été complètement ou partiellement détruites, les infrastructures et les services publics élémentaires sont absents, l’économie locale est mise à l’arrêt en raison de l’impossibilité de mener une activité agricole.

 

100 tonnes d’aide : jouets, colis, matériel médical et… des drones

Certains de ces villages subissent encore des bombardements réguliers. Leurs efforts inlassables ont déjà bénéficié à plusieurs milliers de familles, aux- quelles ont été livrées plus de 100 tonnes de matériel humanitaire, comprenant des colis alimentaires, des jouets pour les enfants, des produits ménagers, des vêtements, ainsi qu’une variété d’autres articles essentiels.

En plus de répondre aux besoins humanitaires, les femmes de l’association aident également des unités de l’armée régulière, profitant de leurs nombreuses expéditions à proximité du front pour les fournir en matériel médical, drones et d’autres équipements essentiels aux forces armées. Le dévouement de ces femmes, pourtant sans aucune expérience antérieure politique, associative, militante ou syndicale, est indéniablement immense.

Après avoir pris connaissance des efforts dévoués de l’association des Anges de fer, nous avons, au sein du Comité vaudois de solidarité avec le peuple ukrainien et les opposant·es russes à la guerre, fondé le 1er mars 2022 à Lausanne, en Suisse, pris la décision de soutenir activement cette organisation. En contribuant d’abord à une collecte de fonds pour l’achat d’une camionnette au printemps de cette année 2023, le comité souhaita prolonger cette collaboration en organisant une récolte pour le village de Starosillya, au nord de l’oblast de Kherson.

Une aide scolaire pour 117 enfants rescapés de l’occupation russe

Alors que la rentrée scolaire de septembre approchait, les 117 enfants qui fréquentent l’école locale manquaient de matériel scolaire adéquat pour poursuivre leur scolarité. Le village fait en effet face à une situation matérielle, pour ne parler que d’elle, très difficile. Occupé dès le 26 février 2022,il est libéré le 4 octobre de la même année – faisant ainsi partie des premières localités à être récupérées par l’armée ukrainienne lors de la bataille pour la libération de Kherson [lancée le 29 août]. Le village de Starosillya, situé sur la rivière Inhoulets, fut sur la ligne de front pendant ces nombreuxmois. La guerre a laissé pour

conséquence des cicatrices profondes dans ce village. Aujourd’hui, environ la moitié des infrastructures du village est toujours détruite. Malgré le manque d’approvisionnement en eau potable, l’absence d’élec- tricité et les zones minées, la vie reprend malgré tout son cours dans la région et le village compte aujourd’hui 240 habitant·es sur les 580 qui y vivaient avant la guerre.

Ainsi, après avoir identifié les besoins prioritaires des élèves en ce début d’année scolaire avec l’aide des enseignantes de l’école, et avoir achevé notre collecte de fonds durant l’été, nous nous sommes rendus à Kryvyï Rih le 15 septembre 2023. Là-bas, nous avons rencontré les femmes del’association des Anges de fer, accompagnés par un membre de Solidarity Collectives, réseau de volontaires antiautoritaires unis dans le but d’aider le mouvement de résistance ukrainien. L’accueil a été extrêmement chaleureux, et la rencontre avec les membres et la présentation de leur travail n’ont fait que confirmer la sincérité et l’ampleur de leurs actions. Une de ces femmes, Tetiana, nous explique n’avoir jamais conduit de voiture avant l’invasion. Elle a pourtant passé le permis de conduire et parcouru plus de soixante mille kilomètres depuis.

 

Le témoignage de la délégation vaudoise à Starosillya

Nous chargeons la camionnette (dont nous avions contribué à l’achat quelques mois plus tôt) avec le matériel scolaire et nous partons le lendemain pour le village de Starosillya. Située à une centaine de kilomètres environ de Kryvyï Rih, l’état des routes ne nous a pourtant pas permis d’atteindre notre des- tination en moins de 2 h 30. Tetiana nous explique ne pas savoir si l’état des routes était nécessairement meilleur avant la guerre malgré ce que portent à penser les nombreuses traces laissées par les com- bats d’artillerie qui marquent le paysage, les lignes d’arbres carbonisés, les tranchées et les campements abandonnés par les soldats russes. De nombreux champs de tournesol ont été abandonnés et n’ont pas pu être moissonnés depuis l’été 2022, étant toujours minés. Le niveau de destruction des villages de la région est plus important qu’imaginé, et témoigne de l’intensité des combats passés. Pratiquement chaque bâtiment est gravement endommagé. Nombreuses sont les maisons habitées qui utilisent de grandes bâches comme toits de fortune.

 

Bien que nous soyons arrivés un samedi, jour de congé pour les élèves, les enfants du village sont venus nombreux nous retrouver, accompagnés de leurs parents ainsi que de leurs enseignantes. Chacun des 117 enfants a reçu un ensemble complet de fournitures scolaires, préparé à l’avance pourgarantir une distribution efficace et équitable. Invités à manger par quelques villageois·es s’étant alors réunis pour l’occasion, nous avons pu observer les habitant·es du village, courageuxeuses et résilient·es, unir leurs forces pour reconstruire leurs foyers, leurs vies, malgré les cicatrices matérielles et immatérielles, les souvenirs difficiles, mais aussi les tabous liés à l’occupation. Offrir à ces enfants une meilleure scolarité, lors de laquelle ils et elles pourront apprendre, se développer et s’épanouir malgré les épreuves aux- quelles ils et elles sont confrontés quotidiennement ne se limite pas uniquement à la dimension matérielle. Cela envoie également un message de solidarité et d’espoir à ces enfants ukrainiens : elle leur montre qu’ils sont soutenus, que leur avenir compte et qu’ils ont la possibilité de réaliser leurs rêves dans une Ukraine libre. Il en va indirectement de même pour leurs parents.

 

Aider et renforcer les initiatives qui émergent par le bas nous paraît essentiel et pertinent. Notre objectif va au-delà de la victoire de l’Ukraine, il vise àcontribuer à la reconstruction d’un État démocratique et libre, avec une société civile forte où les citoyens ordinaires sont actifs et influencent la vie politique. Il est important de rappeler que la période soviétique a entraîné en Ukraine une atomisation et la destruction de toute tradition d’auto-organisation des travailleurs par le bas. Dans les années qui ont suivi la fin de l’Union soviétique, la privatisation et le capitalisme sauvage ont encore exacerbé la précarisation des droits sociaux et rendu leur défense difficile. Les compétences politiques et organisationnelles acquises pendant la guerre pourraient être mises à profit pour poursuivre cet engagement populaire, contribuant ainsi à la démocratisation générale de la société. Cette activité d’entraide rapproche des personnes d’horizons différents, tant urbains que ruraux, et contribue à renforcer le tissu social. C’est un résultat notable, malgré le contexte difficile et malheureux qui a donné naissance à cette dynamique.

Il y a un nombre incalculable d’autres endroits comme Starosillya. L’aide matérielle et directe, même si elle peut nous sembler dérisoire ici, apporte un véritable soutien aux personnes là-bas. La solidarité directe et concrète doit continuer.

 

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