82e anniversaire du massacre de Babi Yar

Laurent Vogel, 28 septembre 2023

Les 29 et 30 septembre 1941 s’est déroulé le massacre de Babi Yar. D’après les archives allemandes, 33.771 Juifs de Kiev ont été assassinés dans ce ravin situé au Nord de la capitale ukrainienne.

Le massacre a été perpétré par un Einsatzgruppe (unité de police mobile chargée des massacres pendant ce qu’on appelle parfois la „shoah par balles“) avec la collaboration d’auxiliaires ukrainiens. Plusieurs sources indiquent une responsabilité particulière de l’OUN-M (Organisation des Nationalistes Ukrainiens-Melnyk*) dont les cadres ont exercé de nombreuses  fonctions (mairie, police, direction de l’unique quotidien autorisé,  etc…) au service des nazis au cours de l’occupation de Kiev. C’est notamment la police ukrainienne, formée à Kiev par des activistes de l’OUN-M, qui a diffusé la proclamation des occupants.  La Sixième armée allemande a joué un rôle décisif dans la logistique du massacre.

 

Les nazis ont pris Kiev le 19 septembre 1941. On estime que lors de leur arrivée dans la ville, il y avait autour de 120.000 Juifs. Le 24 septembre, le NKVD (police secrète soviétique) a fait sauter un grand nombre de bâtiments administratifs dans les quartiers centraux de Kiev. Plusieurs milliers d’occupants allemands ont été tués par les explosions et les incendies qui s’en suivirent. Le caractère planifié et coordonné de cet attentat indiquait clairement qu’il avait été l’œuvre du NKVD. Les nazis ont saisi un plan concernant cette opération. Ils ont néanmoins accusé la population juive de Kiev d’en être  responsable. Immédiatement après l’attentat, des centaines de Juifs et de communistes ont été tués.

 

Le 28 septembre, une proclamation des nazis ordonnent aux Juifs de se présenter dès le lendemain au carrefour de deux rues situées à proximité du ravin de Babi Yar. Ils sont menacés d’exécution immédiate s’ils n’obéissent pas. Les occupants leur demandent de se munir de vêtements et de venir avec leur argent et autres biens de valeur. Cela laisse supposer que les Juifs seront envoyés vers des camps de travail forcé. D’autant qu’une gare pour trains de marchandises se trouve à proximité du point de concentration.

 

Le 29 septembre commence le massacre. Dès leur arrivée au point de rendez-vous, les Juifs sont envoyés vers le ravin par groupes de trente à quarante. Ils doivent abandonner tous leurs biens et sont escortés dans un passage étroit par des soldats allemands et leurs auxiliaires ukrainiens qui les brutalisent avec des matraques et des chiens pour les empêcher de faire marche arrière. Les victimes atteignent un espace ouvert, où elles sont forcées de se déshabiller. Elles sont ensuite assassinées. Au cours des premières heures, on les oblige à s’allonger sur les corps des victimes de la vague précédente. Plus tard, on les abat à la mitrailleuse sur une élévation qui surplombe le ravin. Des soldats allemands achèvent les survivants d’une balle dans la tête.  

 

Environ 22.000 personnes sont assassinées le premier jour. Autour de 12.000 personnes qui n’ont pas pu être assassinées le premier jour doivent passer la nuit sur place. Elles seront exécutées le lendemain. Au cours des mois suivants, Babi Yar reste un lieu d’exécution où sont assassinés des Juifs, des prisonniers de guerre, des communistes et des opposants de toutes les nationalités, des Rroms. Le nombre d’assassinats perpétrés après le massacre des 29 et 30 septembre fait l’objet de différentes estimations pouvant aller jusqu’à 100.000 personnes.

 

A partir du printemps 1942, le camp de concentration de Syrets a été établi à proximité de Babi Yar. Au cours de l’été 1943, dans la perspective de la libération de Kiev des occupants allemands, ceux-ci ont cherché à dissimuler les traces du massacre de Babi Yar en exhumant les corps et en les brûlant. Un Sonderkommando d’environ 300 prisonniers du camp de Syrets a été obligé d’exécuter  cette tâche. A l’initiative de Vladimir Davidov et Fyodor Yerzhov (un ancien soldat de l’armée soviétique), le Sonderkommando s’est révolté le 29 septembre 1943. Les prisonniers ont affronté leurs gardes à main nue, avec des marteaux et d’autres outils de travail. Sur la quarantaine de prisonniers qui ont pris part à la révolte, 14 ont survécu jusqu’à l’arrivée de l’armée soviétique le 6 novembre 1943. Vladimir Davidov, un des chefs de la révolte, a pu témoigner au procès de Nuremberg. D’autres survivants de ce Sonderkommando, comme Yakov Kaper, ont écrit leurs mémoires sur Babi Yar ( la traduction anglaise est en libre accès sur internet).

 

A partir de 1948, le pouvoir soviétique a interdit toute commémoration du massacre de Babi Yar dans le cadre plus général de son refus de reconnaître la spécificité du génocide des Juifs pendant la deuxième guerre mondiale.  Au début des années soixante, dans le contexte du dégel, le silence a été brisé notamment par Anatoly Kuznetsov qui a publié sous l’appellation de « roman » un recueil de témoignages et documents (le texte publié avait été amputé de nombreux passages par la censure). Parmi les personnalités qui ont contribué à ce combat contre le silence, on peut citer le poète soviétique Evtushenko dont le poème Babi Yar a été mis en musique par Chostakovich et le dissident socialiste ukrainien Ivan Dziouba. A l’occasion du 25eanniversaire du massacre, en septembre 1966, un rassemblement a été organisé par des dissidents. Ivan Dziouba y a pris la parole. On peut trouver le traduction anglaise de son intervention sur  https://ukrainesolidaritycampaign.org/2022/01/27/ivan-dzyuba-address-at-babyn-yar/

 

Note

 

° L’Organisation des Nationalistes Ukrainiens-Melnyk (OUN-M) est une des deux organisations issues de la scission de l’OUN en 1940. Andriy Melnyk (1890-1964) était devenu le chef de l’OUN en 1938 après l’assassinat de Yevhen Konovalets (1891-1938), fondateur de l’OUN en 1929. Une aile plus radicale et plus jeunen menée par Stepan Bandera (1909-1959)  a contesté ce choix et a formé en 1940 l’OUN-Bandera qui était majoritaire en Ukraine occidentale. A Kyiv, les nazis ont confié de nombreuses fonctions au début de l’occupation de la guerre à des cadres de l’OUN-Melnyk. Le rôle des deux branches de l’OUN pendant la Shoah a fait l’objet de travaux historiques dont la meilleure synthèse est le livre de J.P. Himka: ‪”Ukrainian Nationalists and the Holocaust. OUN and UPA’s Participation in the Destruction of Ukrainian Jewry, 1941-1944‪”

Pour approfondir, lire l’excellent article de Christopher Ford de l’Ukraine Solidarity Campaign (en anglais) sur: https://ukrainesolidaritycampaign.org/…/babyn-yar…/

Témoignage de Dina Pronicheva, une des rares survivantes du massacre du 29 septembre au procès organisé à Kiev en janvier 1946 contre un certain nombre de responsables du massacre. Extrait du film “Babi Yar. Contexte” (2021) de S. Loznitsa.

Témoignage de David Ayzenberg, survivant de Babi Yar. En russe, sous-titres anglais. Source: Yad Vashem.

Vidéo de France Culture avec la participation de Michèle Moutier-Bitan, historienne spécialiste de la Shoah, autrice du livre “Le pacte antisémite. Le début de la Shoah en Galicie Orientale” publié en 2023 aux éditions Passés Composés.

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